« Un incinérateur n’élimine pas les déchets »
Le Ravi : Les incinérateurs sont-ils dangereux pour la santé des riverains ?
Pierre Emmanuel Neurohr : Les exploitants trouvent eux-mêmes dans leur propre fumée des substances extrêmement toxiques comme les métaux lourds, les dioxines. Ils font pourtant, ensuite, semblant de s’étonner que des études épidémiologiques montrent qu’il y a plus de cancers et de malformations autour de leurs incinérateurs. C’est d’une parfaite logique : on ne peut pas imaginer mettre en place une usine avec une cheminé qui crache des produits hautement toxiques pour la santé et espérer qu’il n’y aura pas d’impacts dans l’environnement et dans le voisinage. A moins de croire au père Noël. Quand les expertises ne sont pas financées par l’industrie, le constat est sans appel : à Besançon, il y a 2,3 fois plus de cancers liés à la dioxine autour de l’incinérateur que dans le reste de la ville. Une autre étude indépendante a été menée en Rhône-Alpes : elle atteste la naissance de plus d’enfants malformés autour des incinérateurs de la région.
Vous parlez de « meurtre chimique ». Le terme n’est-il pas excessif ?
La dioxine a commencé à être étudiée dans les années 50. Le fait que les incinérateurs de déchets produisent de la dioxine est connu depuis la fin des années 70. Cela fait donc 30 ans. Depuis 1988, sur la base d’enquêtes du ministère de l’Environnement américain, on sait que la dioxine est cancérigène. En février 1997, l’Organisation mondiale de la santé a reconnu sa nocivité pour l’homme. Continuer à mettre en place des machines dont on sait qu’elles vont propager une telle substance est scandaleux. Et ce quelle que soit la législation en place : car on peut réduire la proportion de la dioxine rejetée mais pas la supprimer. Que penser d’un chauffard qui dirait : « j’ai écrasé 10 gosses l’an passé, mais cette année je réduis ma vitesse pour en écraser seulement 5 » ?
Les industriels affirment que les nouveaux incinérateurs sont propres…
Les industriels ont perdu toute crédibilité. Depuis 5 ou 6 générations d’incinérateurs, cela se passe de la même manière : ils affirment que la dernière génération de leurs usines ne posera plus de problèmes. Et chaque fois, après coup, nous constatons qu’on a utilisé les voisins de ces usines comme des cobayes. Des responsables de Tiru, la société qui gère trois des plus gros incinérateurs de déchets autour de Paris, ont déclaré en 1995 dans Libération, que leurs cheminées rejetaient « de la vapeur d’eau d’Évian ». Il a été prouvé, depuis, que l’usine de Saint-Ouen, est l’une des plus grosses sources de dioxine en France. Les mêmes nous font pourtant aujourd’hui encore le coup de « c’est nouveau, donc c’est tout beau ».
« Autour de l’étang de Berre, les habitants ont atteint le « seuil de douleur ». Leurs enfants sont suffisamment exposés aux industries polluantes. Ils n’ont plus envie d’être complètement sacrifiés »
La réglementation s’est pourtant durcie…
Dans la nouvelle législation européenne traduite en droit français en 2002, on ne prend toujours en compte que 20 polluants parmi les centaines divers et variés que produisent les incinérateurs. C’est déjà une façon de biaiser le problème. De plus, concernant ces 20 substances, l’approche choisie consiste à mesurer la pollution par mètres cube de fumée. Cela ne veut rien dire : ce qu’il faut estimer, c’est l’accumulation des m3 de fumée mois après mois, années après années. La combustion d’une tonne de déchets ménagers, produit 6000 m3 de gaz. Un incinérateur de taille moyenne traite 200 000 tonnes de déchets par année (celui prévu à Fos-sur-Mer devrait en brûler 500 000) et ce durant 20 à 25 ans. Prenons le mercure, l’une des 20 substances réglementées : 0,05 mg de mercure par m3 sont autorisés par la loi, ce qui peut sembler peu. Mais sur la durée de vie d’une machine, le voisinage va être exposé à des doses qui se comptent en réalité en centaines de kilo…
Mieux vaut-il une décharge à ciel ouvert, comme à Entressen, qu’un incinérateur ?
Mieux vaut réduire la production des déchets à la source. Justifier la construction d’un incinérateur par la nécessité de fermer une décharge, est un argument extrêmement classique dans les couloirs des ministères de l’Environnement et de l’Industrie. Mais il ne tient pas. L’expression « élimination des déchets » en matière d’incinération est abusive. Elle repose sur l’illusion d’un procédé magique. En aucun cas les déchets ne seront éliminés dans un incinérateur. Ils vont être simplement redistribués dans différents médias : certains rejets iront dans l’eau, d’autres dans l’air, le reste finira sous forme solide. Un incinérateur traitant 500 000 tonnes, va engendrer 150 000 à 200 000 tonnes de mâchefers, le terme euphémistique pour désigner les cendres toxiques. Ces cendres sont « recyclées » partiellement dans les revêtements sur les routes. Autre exemple : 100% des métaux lourds qui rentrent dans l’incinérateur en ressortiront. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme.
Que compte faire le CNIID contre le projet d’incinérateur défendu par la Communauté urbaine de Marseille ?
Le projet de Fos-sur-Mer est un cas très classique. Ses prometteurs ne proposent aucune réflexion sérieuse sur la réduction des déchets à la source. L’idée selon laquelle la richesse d’un pays dépend de la quantité de déchets qu’il jette est encore très répandue. Ils veulent nous imposer une machine qui coûte extrêmement cher. Pour rembourser le capital investi, il ne faudra surtout pas réduire le flux de déchets envoyé vers l’incinérateur et cela interdira durant longtemps l’émergence de toute alternative. Les gens qui habitent près de l’étang de Berre sont déjà soumis à des émissions de dioxines par des entreprises qui font de la récupération de métaux non ferreux et brûlent des plastiques comme le PVC. La mairie de Marseille s’est sans doute dit qu’en ajoutant un incinérateur, les riverains ne verraient pas la différence. Heureusement, beaucoup d’associations se bougent car les habitants ont atteint en quelque sorte le « seuil de douleur ». Leurs enfants sont suffisamment exposés aux industries polluantes. Ils n’ont plus envie d’être complètement sacrifiés. Avec notre aide, celle du WWF, des associations de terrain, des Verts, il y a peut-être moyen de gagner la bataille contre l’incinérateur, le plus gros à être actuellement envisagé en France. Notre avocat va faire en sorte, dès que sera édicté un arrêté préfectoral autorisant la mise en place de cette usine, d’obtenir sa cassation en arguant de deux principes légaux jamais respectés en France : le principe de nécessité et le celui de précaution. L’incinérateur ne se justifie pas alors que les efforts sérieux de réduction des sources, de compostage et de recyclage n’ont manifestement pas été réalisés dans le département. Le principe de précaution est foulé au pied compte tenu des dangers pour la santé publique.
Propos recueillis par Michel Gairaud