Surprise !
Certains détails ne trompent pas. Prenez les paraboles. « En Algérie, elles sont toutes tournées vers la France. En France, elles sont toutes orientées vers l’Algérie », constate Samia Ghali, vice-présidente déléguée à la jeunesse et à la vie associative au Conseil régional. En juin dernier, elle a accompagné Michel Vauzelle pour un déplacement officiel à la Wilaya d’Alger. Il y a été question de coopération économique et culturelle, d’échanges dans de très nombreux domaines. Une fois de plus, de belles promesses sans lendemain ? Algérie/Paca, une histoire qui reste à écrire sur une page… très loin d’être vierge. Il y a peu, le référendum sur la « charte pour la paix et la réconciliation nationale » a rappelé à ceux qui auraient aimé l’oublier la présence dans notre région de nombreux Algériens. Près de 94 000 personnes étaient invitées à participer au scrutin. Sans compter ces français, de parents algériens, qui ne votaient pas, mais qui sont particulièrement sensibles aux débats soulevés par cette consultation. Elle s’est soldée par un prévisible plébiscite, un peu suspect par son caractère « soviétique », pour le président Abdelaziz Bouteflika avec 97,36 % des voix pour le « oui ». De quoi faire rêver son ami Jacques Chirac !
Le mois prochain, une autre date va ramener sur le devant de la scène la question des liens entre notre région et les pays de l’autre rive : cela fera tout juste dix ans que le processus dit de Barcelone a été adopté. Il théorise l’ambition euro méditerranéenne et en définit les contours. Un processus contesté, tant il est conditionné à une vision économique inféodée aux règles « incontournables » de l’économie de marché. Et parce que, dès le départ, « Barcelone » a semblé s’enliser en l’absence de véritable volonté politique. Car le paradoxe est bien là : si les paraboles algériennes sont tournées vers Paca, et réciproquement, si les français d’origine algérienne et les franco-algériens sont nombreux et impliqués sur notre territoire, les échanges économiques, politiques et culturels semblent toujours balbutier. A qui la faute ?
A l’Histoire ? La guerre d’Algérie, le passé colonial d’une ville comme Marseille, la forte présence des rapatriés, sont-ils encore des obstacles ? « Le temps fait son ?uvre et beaucoup parviennent à tourner la page sans pour autant fermer le livre, souligne Tahar Rahmani, directeur de 3CI, association spécialisée dans le conseil à la création d’entreprises et la coopération internationale. Mais d’autres ont le compteur bloqué en 1962. Et des élus semblent toujours craindre de les contrarier, pour des raisons électorales, en affichant trop d’intérêt pour l’Algérie. » Guy Bono, vice-président au Conseil régional délégué à l’international, se défend d’être le moins du monde sensible aux sirènes de l’électorat xénophobe. « Nous rejetons tous les extrémismes, les nostalgiques de l’OAS qui, à Marignane récemment, ont inauguré une stèle commémorant les tenants d’un colonialisme pur et dur, souligne-t-il. Et en même temps nous rejetons ceux qui au nom d’un radicalisme religieux font de la France le bouc émissaire qui serait responsable de la situation sociale durement vécue par le peuple algérien. »
Depuis deux ans, la région participe au festival du livre d’Alger, à la foire internationale de la capitale algérienne. Le ministre algérien de l’économie devrait être reçu par le président du Conseil régional pour « déterminer avec lui la nouvelle donne ». Car il y aurait enfin du nouveau sous le soleil méditerranéen. « L’Algérie connaît une effervescence économique sans précédent, s’enthousiasme Tahar Rahmani. Elle est à la recherche permanente d’investisseurs étrangers. Sa situation politique intérieure s’est stabilisée. Elle auto finance grâce au pétrole tous ses programmes. Les Américains ne s’y trompent pas. Qu’attendons-nous ? » En février 2005, Jean-Noël Guérini s’est lui aussi rendu à Alger. « Plutôt que de tenir de grands discours sur la Méditerranée, il a proposé de mettre en place des coopérations concrètes dans des domaines particuliers comme l’environnement ou l’action sociale, explique Jean-Marc Buisson, le directeur des relations internationales du Conseil général des Bouches-du-Rhône. Nous avons constaté la présence de chinois très investis dans des programmes immobiliers. C’est aberrant qu’ils fassent mieux que nous, eux qui sont à des milliers de kilomètres d’Alger. »
Parmi les projets du Conseil général des Bouches-du-Rhône : l’ouverture d’un bureau économique à Alger, l’organisation d’une semaine culturelle algéroise en 2006. Mais toutes les collectivités territoriales ne sont pas aussi empressées de communiquer sur l’Algérie. Dans les Alpes Maritimes, le service de presse du Conseil général n’évoque comme priorité que la question de la réhabilitation des cimetières en Algérie. Marseille, cité d’immigration s’il en est, a elle aussi signé un accord de coopération avec Alger… en 1981, « réactualisé en 1999 ». Le dernier voyage de Jean-Claude Gaudin à Alger remonte à novembre 1993. Entre temps, le maire a témoigné plus de passion pour Shanghai, où il a récemment séjourné une semaine entière à la tête d’une délégation de 300 personnes issues de la société civile, et pour la Suisse, du temps où il souhaitait « candidater » afin d’accueillir la coupe de l’America. Fin septembre, soutenus par l’association Le Rouet à c?ur ouvert, des « chibanis » (les « anciens » en arabe) ont manifesté devant la direction des impôts de Marseille. L’administration fiscale refuse de délivrer un avis d’imposition à 4000 retraités maghrébins les privant de droits sociaux. Un « incident » de plus dans un long parcours d’exclusion. Peu exaltant pour promouvoir l’image d’un Marseille qui gagne.
Les obstacles à lever pour réconcilier les deux rives restent nombreux : la démocratisation inachevée du régime algérien et de ses voisins du Maghreb, l’inégalité des richesses de part et d’autre, une politique des visas très restrictive qui marginalise les échanges… « La France continue de croire que les Algériens veulent nous envahir, déplore Samia Ghali. Mais les gens qui immigrent ici vivent souvent dans une misère plus noire qu’en Algérie. Accorder plus de visas aurait au contraire pour effet de diminuer l’immigration clandestine. » La peur, dans un climat politique très sensible aux sirènes sécuritaires, n’est toujours pas dissipée. Dans les années 80, les médias désignaient les terroristes présumés comme des « individus de type méditerranéen ». L’expression est passée de mode. Peut-être un jour sera-t-elle à nouveau au goût du jour mais cette fois dans un sens positif. Pour désigner les citoyens de la Méditerranée. Quels qu’ils soient et où qu’ils vivent. On peut rêver…
Michel Gairaud