Stéphane Lissner, directeur du Festival d’Art Lyrique, Aix en Provence

juin 2005
Stéphane Lissner, dirige le festival d'Aix et vient d'être nommé à la tête de la prestigieuse Scala de Milan. Un « intermittent » qui n'a pas de mal à boucler ses heures.

Allegro ma non troppo

« On oublie tout, sous le soleil de Mexico… On devient fou, sous le soleil de Mexico… Mexicooooo. Mé-mé-mé-mé-mééé Méxiiii-cooo ! Tu es le plus beau de tous les payyyyyys ! » Le jour où je pourrais programmer du Francis Lopez n’est pas encore venu, mais parfois je le chante sous la douche, ça me défoule, car vivre au milieu de tant de luxe, de calme et de volupté, c’est quelquefois lassant, comme le caviar à la louche. Donc, je m’appelle Stéphane Lissner, j’ai 52 ans, et ça fait sept ans que je dirige le festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, ce jusqu’en 2009. Par ailleurs, je programme le festival de Vienne jusqu’en 2007, je co-dirige les Bouffes du Nord avec Peter Brook, et j’ai des billes aussi à la Madeleine. 20lop_lissner.jpg Je suis une sorte de yuppie de la culture, j’ai commencé très tôt, à 19 ans, âge auquel j’ai créé ma première start-up. J’ai fait mes armes au théâtre, à Aubervilliers puis à Nice. Je suis venu à l’Opéra un peu par hasard, au Châtelet, où je suis resté quinze ans. Je suis dans le Who’s who, j’ai eu la Légion d’honneur, tout baigne. La nouvelle, c’est que je viens d’être nommé surintendant et directeur artistique de la Scala de Milan. Ah, vive l’Europe ! Vive ma délocalisation (pas à 100 euros par mois, il est vrai) ! Car ma nomination à la Scala, «c’est un tournant fondamental qui dit oui à l’Europe et j’y suis d’autant plus sensible que je milite pour la Constitution européenne ! » (1) (l’orchestre salue d’un tutti). J’ai la réputation d’un homme génial et novateur, ce qui risque d’affoler les puristes du bel canto. Donc, « je n’imposerai pas la méthode Lissner » (2) C’est quoi, la méthode Lissner ? Vous l’ignorez ? Une mer de modestie dans un océan d’humilité. D’ailleurs, les Ritals sont venus me chercher, moi, je n’en voulais pas, de la prestigieuse Scala. Mais « si je ne pensais pas que nous allons réussir, je n’aurais pas accepté » (3). Incontournable, le Lissner on se l’arrache. Avec toutes ces casquettes, je suis pas du genre intermittent crevard qui rame pour faire ses heures, je touche des jetons de présence un peu partout, comme un vrai patron. Ah, les intermittents ! J’ai interrompu le festival d’Aix à cause de tout le barouf qu’ils faisaient, ce n’était vraiment pas convenable. Non, aller écouter du Mozart entre deux rangées de CRS, franchement… Il ne faut surtout pas mélanger l’art et la politique ! L’art, et tout particulièrement l’opéra, est un divertissement bourgeois aux audaces subventionnées. Regardez le public aixois : des mémères du cru qui vont à l’Opéra une fois l’an, des pélerins qui errent de Salzbourg à Bayreuth en passant par Aix, des « pipoles » et des journalistes parisiens. Qu’il est loin, le temps où la Scala servait de chambre d’écho aux revendications émancipatrices italiennes contre l’envahisseur austro-hongrois ! Que voulez-vous, il faut bien vivre avec son temps. Mais je reconnais que je reste redevable : « Le conflit de 2003 avec les intermittents du spectacle à Aix-en-Provence m’a humanisé. » (4) Avant, je n’étais qu’un patron, maintenant, « tout le monde sait que je suis un patron, mais modéré. » (5) Du coup, en arrivant à la Scala, j’ai fait la tournée des popotes, j’ai serré un bon millier de paluches, il faut toujours reconnaître le travail du petit personnel, il vous en saura éternellement gré. Moderato cantabile.

Paul Tergaiste

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