Serge Botey, adjoint à la culture à la mairie de Marseille

mai 2004
Serge Botey, adjoint à la culture à la mairie de Marseille, s'est pris une branlée aux dernières cantonales. Ô pôvre !

Du pan bagnat et des jeux

« Qui-ne-saute-pas-n’est-pas-marseillais-yé ! » Oh, Bonne Mère, ils m’ont mis un brave estrambord ce soir ! Et moi, je suis là à m’emmerder dans les loges d’honneur. Des fois, je regrette quand j’étais minot, les matches dans le virage avec mon père, immigré espagnol qui a fui le terrrrrible joug du franquisme (il sort un petit violon de son manteau de cuir noir, la larme à l’?il). Mais, bon, mèfi avec le brushing, et puis c’est la rançon de la gloire. Gaudin, avec sa réputation, y peut pas aller traîner dans les vestiaires. Donc, c’est moi qui suis chargé des relations avec les supporters. Pas toujours facile ! Une fois, en sortant du match, je me suis fait fracasser la tronche, le chauffeur, et le pare-brise de la Safrane par des enc… de supporters de l’équipe adverse. Bref, sinon, je suis adjoint à la culture. Faut pas faire de distinction, à Marseille, le foot, c’est la culture. Alors, je footise la culture. rv8poids_botey.jpg « Qui-ne-saute-pas-n’aime-pas-les-musées-zé !» Les « grands événements », que ça s’appelle, depuis 1995. Carnaval, Massalia, Marscéleste, patin-couffin. Bon, ça plaît pas aux intellos, ils disent que c’est pas nems et cirque en fesses ou, comme la veuve Defferre, que j’ai «dépensé 300 millions pour faire défiler sur la Canebière 2000 petits Arabes déguisés en crabes ». (Il s’échauffe) Alors que du monde entier on m’a écrit, même les Américains, et même Mickey il m’a écrit pour me demander comment je faisais pour faire des trucs comme ça ! Ils ont voulu m’inviter à Miami ! Mais moi, je suis trop bien ici de longue. Mes vacances, je les passe à Marseille. Et puis, c’est pas bien d’être élitiste. Je vais vous expliquer pourquoi (il fixe son regard droit dans vos yeux). Un jour, une femme rentre dans ma librairie (1) et me demande un bouquin sur la communication avec les morts, qu’elle veut acheter pour une amie qui vient de perdre son fils. Alors je lui dis que c’était des braves conneries, tout ça. (Un silence) Figurez-vous qu’elle est tombée raide morte dans mon magasin : (trémolos dans la voix) c’était la mère de l’enfant ! (Après un long silence pathétique, il reprend) « La couleur, le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l’effort et l’attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche et de l’imagination particulière ; tout y sera, moins l’esprit ; cette loi est celle du troupeau. » On dirait les festivités que je suis l’organisateur, pas vrai ? Eh bé non, c’est un extrait de Suarès que j’ai mis sur les marque-pages de ma librairie ésotérique. Bon, c’est élitiste comme devise, mais là je m’adresse à ma clientèle, francs-maçons et compagnie (il cligne de l’?il). Quand on me demande si je suis franc-mac, je laisse planer le doute, les sous-entendus. C’est en partie grâce à ça que les politiques m’ont déroulé le tapis rouge, ces couillons. S’ils savaient ! En fait, je lis le dos des livres que je reçois. En dix lignes, y a l’essentiel. Comme ça je peux te citer les poètes lituaniens, Guénon et les alchimistes dans les coquetèles ! Une que je sors souvent, c’est (il imite péniblement l’accent pointu) : « Je peux juger de quelqu’un à la manière dont il range sa bibliothèque. » Comme ça, pas besoin de parler du contenu des livres, tout le monde est scotché (il cligne de l’?il). Ma base en ésotérisme, c’est Matrix. Je me suis acheté le manteau long en cuir noir comme Néo, trop dégaine ! Ça m’a pas empêché de me prendre une veste aux cantonales (2). Pourtant, dans un canton spécialement redécoupé, un quartier résidentiel où je suis né, la Treille, au pays de Pagnol. Et je me suis démené avec Blum (3) qui me soufflait les réponses sur les dossiers quand je faisais un peu trop le mytho. Moi, le contact avec les gens, j’adore. En ce moment, j’ai un collègue dans la pub qui m’a filé un moulon de capotes. Alors moi je les refile par poignées au gré de mes déplacements. « Il faut bien que je m’en débarrasse, autant que ce soit utile à quelqu’un. » (4) Té, ça me donne une idée de folie, je vais en parler au prochain conseil municipal : et si on faisait un défilé sur la Canebière avec des milliards de capotes gonflées comme des ballons, imprimées avec « Paris, on t’enc… » ? Comme ça, on aurait la Shampoing’s League, la Coupe du Monde, l’America Cup, le Graal et tout le reste ! On le verrait de la lune ! Et même les Martiens, ils m’écriraient pour me dire, Serge, t’y es trop fou !

Paul Tergaiste

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