Scénario revival : « Un choc transmis de génération en génération »

septembre 2009
Entretien : Animatrice du patrimoine à Arles, docteur en histoire moderne, Odile Caylux vient de publier un livre sur la peste qui a frappé la ville en 1720-1721. Et qui a meurtri les mémoires.

Comment expliquer que la peste reste un souvenir aussi vif dans la mémoire collective ?

« Il y a d’abord l’ampleur du phénomène. La peste de Marseille en 1720 a fait 50 000 morts. Des scènes apocalyptiques ont été décrites avec les morts empilés dans les rues. Dans des villes plus petites comme Arles, touchée la même année, la mortalité a été moindre. Mais lorsque un tiers de la population, soit près de 8 000 personnes, périt en quelques mois, c’est un véritable cataclysme. Il faut s’imaginer les maisons vides, les échoppes désertées. C’est un choc qui s’est transmis de génération en génération. »

La terreur religieuse a-t-elle renforcé ce sentiment d’horreur ?

« Au Moyen-Âge et sous l’Ancien Régime, la peste, pour une population imprégnée de culture chrétienne, était avant tout un fléau envoyé par Dieu pour punir les hommes. La peur de l’enfer était très présente. Cette dimension de malédiction contribuait à impressionner plus encore les gens. Mais lorsque la peste prenait fin, là aussi on le mettait sur le compte de Dieu. »

« La peur de l’enfer était très présente »

Pour autant, les autorités semblent avoir fait preuve de rationalité face à la crise ?

« Depuis le Moyen-Âge, il y avait des épidémies très fréquentes et des écrits existaient, avec les mesures à prendre. En 1720, les gens s’attendaient à ce qui allait se passer. Lorsqu’en mai, Marseille est frappée, les consuls d’Arles s’organisent méthodiquement pendant plusieurs mois de façon très rationnelle, en stockant des provisions, en tentant d’isoler tant bien que mal la ville qui ne sera touchée qu’en décembre. La Provence sera placée en quarantaine avec des lignes de soldats n’hésitant pas à tuer, ni plus ni moins, ceux qui essayaient de passer. »

La peste à Arles a été marquée par un soulèvement populaire d’une rare ampleur. Pourquoi ?

« Les mesures d’encerclement étaient plutôt comprises par la population. Mais lorsqu’en juin 1721, le lieutenant général de Caylus décide de complètement fermer la ville d’Arles, c’est le moment des récoltes. Coupés de leur terroir, les gens craignent de mourir de faim. Il y a donc un mouvement important de révolte réprimé par la troupe. Mais en règle générale, les épidémies n’ont pas été des moments où l’ordre social a été contesté ou de façon très épisodique. »

« Après la peste, un regain de naissances »

Par contre, il y a bien eu un choc financier et économique et des répercutions sociales…

« Souvent, lors des épidémies, les notables fuyaient les villes pour s’enfermer dans leurs terres avec des provisions. En 1721, les consuls d’Arles sont restés sur place en se dévouant à la population. De fait, la peste a dévoré une partie de la noblesse qui ne s’en est jamais remise. Autre phénomène : avec 1/3 de morts, on assiste mécaniquement à une redistribution des cartes. Les survivants ont hérité de ceux qui ont succombé. Quelques fois même; un valet ou un employé a pu récupérer un bien appartenant à son maître ou à son patron dont la famille était décimée. Pas de quoi pour autant bouleverser en profondeur la hiérarchie sociale. »

La vie a-t-elle repris rapidement ses droits ?

« C’est un fait historique. Toutes les grandes catastrophes, naturelles ou humaines comme les guerres, amènent un désir de vie. Après des mois de drames, de deuils, de tragédie, la vie l’emporte. L’épidémie d’Arles n’a pas fait exception avec un regain de naissances dès qu’elle s’est terminée. Mais la ville a mis des décennies à retrouver son niveau de population. »

Entre la peste au 18ème siècle et les craintes d’une pandémie de grippe A, une comparaison est-elle possible ?

« Sur le fond, cela n’a rien à voir surtout si l’on compare le taux de mortalité de la peste et celui constaté ou annoncé pour la grippe H1N1. La prudence des autorités publiques peut, à la limite, faire écho à celle des consuls arlésiens. Reste qu’en 1721, il n’y avait pas de médias, peu de communication, pas de suffrage universel et donc moins de nécessité, pour l’élite de prouver au petit peuple qu’elle tenait la situation bien en main. ».

Propos recueillis par M.G.

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