Salins : une facture salée
Le Parc naturel régional (PNR) de Camargue est-il maudit ? Bloqué pendant plusieurs années par ses fondateurs (le Ravi n°45), le voilà pris dans la tourmente de la fin annoncée des Salins de Giraud et de la reconversion de 15 000 de ses quelques 85 000 hectares. Le dossier ne s’annonce pas moins problématique alors que le village de Salin-de-Giraud s’apprête à faire scission avec Arles, ville à laquelle il était intégré, en obtenant le statut de commune.
Après 112 ans de bons et loyaux services, la Compagnie des Salins du Midi et des Salins de l’Est (CSME – groupe Salins) semble en effet bien décidée à tirer sa révérence. A la suite de la dénonciation par Arkema (Total) de son contrat de 300 000 tonnes de sel par an en mars dernier (échéance programmée en 2011), la multinationale a annoncé la réduction de sa production camarguaise de 780 000 à 340 000 tonnes par an. Résultat : 100 emplois supprimés sur 146. Une décision jusque-là compensée par un « plan de sauvegarde de l’emploi » (sic), signé cet été, dans lequel les Salins s’engagent également à assurer la gestion de leur réseau d’eau et l’entretien des digues qui protègent la partie sud-est du territoire (6 des 46 emplois restants), à « revitaliser » le site et à reclasser les dix salariés encore sur le carreau.
Mais cette fois, le groupe entend bien mener l’opération à sa manière car il est en position de force. Il est propriétaire des 15 000 hectares, d’une grosse partie du village de Salin-de-Giraud, qu’il a créé à son arrivée pour accueillir ses ouvriers. Il dispose de tous les terrains disponibles, dont pas mal de terres vierges et quelques plages naturelles. « Nous voulons jouer sur la complémentarité des activités tout en répondant rapidement aux attentes légitimes des habitants en termes d’emploi. Nous avons donc une réflexion globale pour générer les moyens de préserver l’ensemble de notre espace sauvage et artificiel, explique Jacques Balossier, directeur immobilier du groupe Salins. Nous ne ferons pas de philanthropie. »
En clair, et sans décodeur, cela signifie d’abord vendre un peu plus de 2 000 hectares au Conservatoire du littoral. A ce jour, il ne manque plus que la signature du Conseil régional, son autorité de tutelle, au chèque de 36 millions d’euros exigé par la multinationale. « C’est plus cher que ce que nous souhaitions, mais ça correspond à la valeur fixée par l’autorité judiciaire après nos multiples conflits avec les Salins, accepte Christian Desplats, délégué régional du Conservatoire. Quand on négocie avec une société privée, il n’y a pas de sentiments. »
Le tourisme, second volet de « la réflexion globale », le confirme. Tous les élus et acteurs de Camargue le rêvent écolo, « mesuré et responsable ». Il le sera… en partie. « Une résidence hôtelière de 100 à 200 lits devrait sortir de terre dans 18 mois et va tendre vers le label haute qualité environnementale, annonce Jacques Balossier. Elle s’adressera à un public à la recherche d’un séjour authentique dans un environnement sauvage et naturel. » «C’est la contrepartie à la vente des terres par le Conservatoire du littoral », assure Marguerite Arsac, élue d’opposition UMP d’Arles. Viendra ensuite un centre de soins de maladies de la peau à vocation européenne. « Un projet fort en image et en sens » (resic), assure le directeur immobilier. L’aquaculture souhaitée par Didier Olivry, le directeur du parc semble un doux rêve…
Mais loin d’être abattu et inquiet, le responsable du PNR reste optimiste. « Les 15 000 hectares sont bien gérés et ne coûtent rien à la collectivité. C’est très précieux lorsqu’on voit les budgets de la protection de la nature », se justifie Didier Olivry. Le classement de la Camargue au patrimoine mondial de l’humanité, la loi littoral ou encore la charte du Parc sont des garde-fous. » Il se contente donc d’appeler à la vigilance sur la rentabilisation du foncier par le groupe. Le maintien de la multinationale en Camargue est à ce prix.
Pourtant, le groupe n’a signé aucun engagement sur le long terme. Son contrat avec Arkema et ses 1 300 000 tonnes de stocks laissent penser qu’il restera encore quelques années, mais après ? « Il partira, assure Catherine Levraud, adjointe à l’écologie d’Arles. Je me suis retrouvée en justice pour l’avoir insinué dès 2002, mais il ne faut pas oublier que ses actionnaires sont des banques, qu’il a ouvert des sites en Tunisie et en Mauritanie, qu’il y a eu déjà plusieurs menaces de fermetures et que, pendant des années, le groupe des Salins a financé le harcèlement juridique contre le Parc. » « Il faudra que nous fassions des bénéfices, sinon ça ne tiendra pas », reconnaît Jacques Balossier.
Une revente – certainement pas à des « philanthropes » vu le prix de l’immobilier dans la région – que personne ne veut aujourd’hui ouvertement évoquer. Au même titre que les conséquences de la partition éminente du village de Salin, souhaitée notamment par Roland Chassain, le maire UMP des Saintes-Maries-de-la-Mer. Un manque de courage qui fait bondir Hervé Thomas, président d’Attac Arles : « Depuis 2003, on sait que la production de sel est menacée, mais personne n’a voulu réfléchir à des alternatives. Et ça continue. » Et de prédire : « Cette réserve est vouée au béton et au tourisme de luxe. »
Jean-François Poupelin