Salade niçoise dans le stade
« Ils n’ont pas fait leur possible ! 14 000 trains circulent chaque jour et ils ne pouvaient pas en trouver dix supplémentaires ? » A quelques jours de la finale de la Coupe de la Ligue qui doit opposer le 22 avril l’OGC Nice à l’AS Nancy Lorraine au Stade de France, Michel Orregia, secrétaire général du Club des supporters (CDS, le plus ancien et le plus important en nombre groupe de supporters du Gym, l’autre appellation du club), bougonne. Son humeur se partage encore entre sa rancune vis-à-vis de la SNCF, qui n’a pas mis immédiatement les trains nécessaires au transport des Niçois à Saint-Denis (93), et la joie, immense, de savoir que 23 000 d’entre eux feront le déplacement. En avion, en bus, en voiture (très majoritairement) et, finalement en train. Après de multiples tractations, la SNCF a en définitive mis huit convois à leur disposition (dont un pour les invités de la mairie !). Retrouvant le sourire à l’évocation de cette fin heureuse, son plaisir est même teinté d’un certain esprit revanchard. Car en football, comme dans d’autres domaines, les Niçois cultivent à tort ou à raison une espèce de complexe de persécution. L’attitude de la SNCF n’étant, à leurs yeux, qu’un épisode de plus dans les difficiles relations de la ville avec « l’Etat jacobin » et du club avec les instances nationales du football hexagonal. Michel Orregia est d’ailleurs capable de raconter mille anecdotes prouvant que l’OGC Nice est le mal aimé de la Ligue 1. Et selon lui, l’histoire de sa rocambolesque remontée de Ligue 2 vers l’élite en 2002 confirme la règle. « Alors que nous avions gagné ce droit sur le terrain, la Direction nationale du contrôle de gestion s’est acharnée à vouloir notre relégation en national » (1) , fulmine-t-il encore aujourd’hui.
Si l’épisode de la prochaine finale apparaît comme la cerise d’un gâteau au goût plutôt amer pour les supporters du Gym, il a au moins un avantage : celui d’avoir un peu plus renforcé leur sentiment d’appartenance identitaire. La remontée en Ligue 1, au même titre que le rattachement du Comté de Nice à la France en 1860, est vécue comme un événement fondateur de leur identité niçoise. Depuis, les banderoles s’étalent en Nissard et arborent les armes de la ville. « Nissa la belle » s’est progressivement imposée comme leur hymne.
Généralisée depuis 2002, cette revendication identitaire n’est cependant pas nouvelle (2) . Elle apparaît en 1985 avec la création de la Brigade Sud Nice (BSN). « Dès le départ, nous avons revendiqué cette identité nissarde, mais d’une façon plus exacerbée qu’aujourd’hui », précise Gilles, 36 ans, membre fondateur et bénévole de ce groupe d’ultras. Une manière policée de présenter un groupe de supporters à la réputation plus que sulfureuse. Considéré comme un des plus violents de France, il a en effet toujours navigué entre l’indépendantisme et l’extrême droite. Ce que confirme François Loeillet, Identitaire (groupuscule néo-fasciste) et membre de la BSN depuis sa création. « S’il n’y a plus de skinheads comme à la fin des années 80, leurs idées sont toujours partagées par le noyau dur du groupe », soutient ainsi le militant d’extrême droite qui gère aussi la librairie du Paillou, tout en se réjouissant de voir des symboles régionalistes affichés au stade du Ray. Adepte des « bastons » d’avant ou d’après match organisées par téléphone, il semble par contre regretter la fin de cette autre tradition niçoise (3) . « Alors que ça fait partie de la vie de la Brigade et que certains attendent ça toute l’année, cette saison on s’est juste un peu frictionné avec les parisiens », déplore-t-il. Une baisse d’activité qui n’a cependant pas empêché Nicolas Sarkozy de stigmatiser les ultras niçois, comme une partie des supporters parisiens et marseillais, au moment de l’annonce, mi-mars, de l’entrée en vigueur de sa loi sur l’interdiction des stades aux hooligans (4) .
En-dehors de Gilles de la BSN, qui reste plutôt vague sur le sujet, ces propos font bondir les supporters de l’OGC Nice. « Ils se mesurent la bite !», tempête Laurent Frédéric, membre du CDS, à l’encontre des adeptes du coup de poing. Pour Michel Orregia, ce serait même un faux procès. « Les bagarres d’aujourd’hui me rappellent celle des fins de bal. Le ministre de l’Intérieur assimile Niçois et Parisiens pour appuyer son plan anti-hooligans », affirme-t-il furieux en assurant que la présence de ce « noyau dur » est désormais de l’histoire ancienne. Reconnaissant qu’il n’y a pas de raison que les suffrages électoraux ne soient pas reproduits dans le stade, les supporters du CDS estiment cependant avoir fait le nécessaire pour en évincer la politique. « Il y a une dizaine d’année, une bande a tenté de s’imposer. On l’a vite matée et aujourd’hui on fait tout pour qu’il n’y ait pas de récupération. Désormais, le stade est apolitique, les banderoles partisanes et nationales sont proscrites, et la seule chose qui fédère c’est l’identité niçoise », soutient ainsi François Fougeron, vice-président et porte-parole du CDS.
En marge de cette vision ethnocentrée, voire paranoïaque, de l’identité niçoise, Louis Pastorelli, membre du collectif d’artistes Nux Vomica, se veut plus positif. « A l’image des carnavals de quartier, le stade a un rôle très positif dans la réappropriation de la ville par la population. Tout le monde a appris la chanson « Nissa la belle », il s’y crée des banderoles… C’est un élément folklorique au bon sens du terme à un moment où l’on constate que la culture niçoise a reculé », avance ainsi ce promoteur d’une culture niçoise populaire, en opposition avec une culture officielle au service du tourisme.
Tout à leur préparation de la finale du 22 avril, les supporters de l’OGC Nice promettent que c’est cette identité-là qu’ils iront défendre au Stade de France. Pour eux, il n’y a d’ailleurs aucune raison qu’il y ait de problème avec les Nancéens. « Contrairement à Paris, Marseille, Saint-Etienne ou Bordeaux, ce sont des amis », rappelle Gilles de la brigade Sud. Attention alors à ne pas se tromper de ligne dans le métro parisien ! Une malencontreuse erreur de correspondance peut directement mener au Parc des Princes…
Jean-François Poupelin