Rosé : potion miracle ou pis-aller ?
« Le principal atout du rosé, c’est sa couleur. Elle est liée à l’affectif, au décalage, au plaisir ». Jérémy Arnaud est intarissable lorsqu’il s’agit de louer les atouts du rosé. Il est même payé pour ça, en tant que responsable du service économie du CIVP. Traduction : le Comité interprofessionnel des vins de Provence, organisme qui rassemble les appellations côtes de Provence, coteaux d’Aix et coteaux varois et la fédération régionale du négoce, soit le numéro 1 du marché du rosé en France. La Provence, qui exporte peu, est tout de même leader de la production mondiale de rosé, à hauteur de 8 %. « Notre région a longtemps été dénigrée pour son rosé, se souvient Jérémy Arnaud. On nous faisait souvent remarquer que nous n’appartenions pas à la grande famille du vin. Nous avons fait un travail qualitatif énorme. Nos prétendus défauts sont devenus des atouts. Les codes psychorigides et élitistes présidant à la dégustation des supposés grands crus finissent par lasser. Le rosé est un vin à vivre entre amis. »
L’interprofession est convaincue que les facteurs qui expliquent le succès relatif du rosé, au regard des difficultés du vin rouge (lire page 7), ne sont pas passagers. Seul l’avenir le prouvera. Mais le plus dur reste sans doute à venir. « Le rosé de Provence, qui se caractérise par sa couleur claire, a pris dix ans d’avance sur les autres, certifie Michaël Latz, vigneron et maire de Correns. Mais tout le monde s’est rendu compte que ce marché est porteur et va tenter désormais d’en produire. » Situation paradoxale : les efforts qualitatifs dans la région l’ont un peu éloigné d’autres marchés, ceux du vin de table et de la restauration notamment. Les professionnels regroupés dans le CIVP produisent par exemple 50 % des AOC en rosé mais « seulement » 25 % des rosés français toutes catégories confondues. Les vins de pays d’Oc se positionnent avec efficacité sur ce créneau. Mais même la vallée du Rhône et le bordelais lorgnent avec intérêt sur l’expérience provençale. « En orientant nos consommateurs vers des rosés à forte valeur ajoutée, plus chers à l’achat, nous avons perdu nos clients les plus «cheap», reconnaît Jérémy Arnaud.
« Les codes psychorigides et élitistes présidant à la dégustation des supposés grands crus finissent par lasser. Le rosé est un vin à vivre entre amis »
Jérémy Arnaud, économiste au CIVP
La Provence « rose » est loin d’être un eldorado. L’an dernier les Caves de Provence, regroupement de producteurs du Var basé aux Arcs, a frôlé la faillite. L’affaire s’est soldée, dans la discrétion, avec l’absorption des Caves par l’autre regroupement du département, dorénavant le seul en place, le Cellier Saint Louis. Dans cette opération, des producteurs ont perdu jusqu’à l’équivalent d’une récolte entière. « Sur le principe, établir des groupements d’achats, pour éviter de passer par des négociants privés, est une bonne chose, reconnaît Michèle Gros, porte parole de la Confédération paysanne dans le Var. Mais il est dur de s’improviser administrateur dans un secteur très concurrentiel. De grosses erreurs ont été faites. La crise a été étouffée par la profession du département. C’est difficile d’avoir des informations claires à moins d’être fiscaliste ou mandataire ».
Au CIVP, on ne s’étend pas outre mesure sur le sujet. « Aujourd’hui, l’important, c’est que tout le monde reparte sur de bonnes bases avec le Cellier Saint Louis », résume Alain Baccino, le président du comité. Dans une profession aux abois, il n’est jamais de bon ton d’étaler au grand jour ses faiblesses. Un sujet suscite, à l’inverse, de nombreuses réactions publiques : le débat sur la LGV Paca, la future ligne à grande vitesse reliant Nice à Paris (lire pages 14 et 15). Dans le Var par exemple, l’hypothèse d’une gare nouvelle autour de Cuers inquiète. « Qu’on ne vienne pas me dire qu’une gare n’occupera que 25 hectares, proteste Alain Baccino. Depuis le temps que nous travaillons pour valoriser les terrains, pour produire des vins de qualité, ces projets routiers et ferroviaires viennent nous déboussoler ». Et là, rouge ou rosé, rien n’y change.
M.G.