Robert Guédiguian, cinéaste
Tonton et Jeannette
« Il pleut sur Marseilleu, le port rajeuniiit, il pleut sur Marseilleu, Notreu-Dameu souriiiiit »… Eh vouais, j’ai un peu la nostalgie de Marseille, des fois. Non seulement j’habite à Paris – Montreuil précisément – mais en plus j’y fais mes films maintenant. Montreuil, au début c’était bien, populaire et tout, ça me rappelait l’Estaque. A présent, c’est cafi de bobos et l’immobilier, je te dis pas les prix. Il faut croire que j’ai le mauvais ?il. Je précède la spéculation immobilière partout où je passe. Regardez à l’Estaque, même histoire. Le pire, je l’ai lu un jour dans les pages immobilier du Nouvel Observateur, « Propriétés et châteaux » ça s’appelle. Figurez-vous une bastide à l’Estaque à je ne sais plus combien de centaines de milliers d’euros, et sur l’annonce, il y avait : « plein de charme… », patin-couffin, « … comme dans Marius et Jeannette » ! (1) Putain, ça m’a foutu les méchantes boules. Moi, un communiste, qui a tout fait pour donner une bonne image des prolos pour qu’ils soient mieux dans leur peau, peuchère ! Résultat, ça a surtout donné une bonne image aux quartiers où ils vivaient. Et croyant venir habiter les images d’Epinal à la Amélie Panisse que j’ai faites, les abonnés à Télérama et au Nouvel Obs ont fini par en chasser les habitants. Comme quoi, non seulement c’est avec les bons sentiments qu’on fait du mauvais cinéma, mais en plus, ça fait des dégâts à rebours des pieuses intentions qu’on a. Du coup, je fais un film sur Mitterrand. Je croyais me changer les idées, mais non. C’est kif-kif : Mitterrand, il a incarné les mêmes espoirs, et la déception, c’est à peu près la même aussi. Mais je ne suis pas rancunier : «il a, qu’on le veuille ou non, qu’elles qu’aient été, dans son destin, les parts de conviction et d’ambition personnelle, rendu le rêve socialiste crédible pendant une longue décennie »(2). La preuve, on a viré tous les passages Gala sauce Voici du bouquin de Benamou(3), ce Rastignac de téléachat, pour ne garder que l’homme face à son destin. Avec Michel Bouquet dans le rôle, une vraie statue, on lui a fait à Tonton. Sur le piédestal, on pourrait graver : « à Mitterrand, les cocus reconnaissants ». Bref, il faut croire qu’il y a une pente fatale de l’existence, qu’on finit toujours par s’éloigner de ses idéaux. Regardez-moi : certes, je ne suis pas encore à l’Elysée, car je suis trop dégoûté de la politique, j’en ai tâté il y a un bail, mais je préside la Friche la Belle de Mai, Ariane(4) a eu un César, je vis à Paris et je fais des films parisiens. Mèfi, l’embourgeoisement me guette ! Je descends presque plus à Marseille, même si je reste fidèle à toute la bande. L’autre fois, j’étais là pour la réouverture du cinéma Lumière à Vitrolles, qui avait été fermé par ce facho de Mégret. Je me suis engatsé avec des pébrons de Ras l’Front qui osaient me couper la parole sans arrêt, et il y a eu filade, comme au bon vieux temps ! Ça m’a fait du bien, ça m’a rappelé ma jeunesse. Sinon, Marseille, j’en ai un peu plein le cul, comme de tourner toujours les mêmes choses avec les mêmes collègues. Si ça marche, le film sur Mitterrand, peut-être que je ferais autre chose, on verra bien. Ma maison de production, ça m’occupe pas mal aussi. (5) Et puis sinon retour à la case l’Estaque. M’enfouti, j’ai la place au chaud : « comme je le dis avec beaucoup d’humour : Il n’y a que moi dans le cinéma marseillais ». (6)
Paul Tergaiste