Quand les « alter » se soulèvent

novembre 2011
Après le G7 à Marseille, le G20 à Cannes. « L’alter-forum », lui, est à Nice du 1er au 4 novembre. À 30 kilomètres. Enquête sur les contre-sommets, et ceux qui les fréquentent.

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Ceinturé de tricolore et perché sur un escabeau, il s’appelle Claude-Jean Dingo. Vrai-faux maire de Marseille, le 10 septembre, devant environ 400 personnes, il a rebaptisé la rue de la République « rue de la Spéculation », ultime coup d’éclat du rassemblement de protestation contre la tenue du G7 dans la cité phocéenne. « C’est moi ou il n’y a personne ? », peste une jeune militante, regrettant presque la lacrymo qui sied à tout contre-sommet. En face, en nombre et en armure, la maréchaussée se fait royalement suer. Sur le Vieux-Port, certains goûtent, le temps d’une photo sur un transat avec une valise bourrée de billets au pied, à la vie dans un paradis fiscal. Autour, avec Manu Chao en fond sonore, ça tracte et ça pétitionne. Avec un mot d’ordre : « Les peuples d’abord, pas la finance. » Mais, malgré la liste impressionnante de signataires (du NPA aux Verts en passant par Emmaüs) appelant à ce rassemblement, il n’y a pas foule.

L’un de ses organisateurs, Stéphane Rio, de la FSU, proteste : « 400 personnes, pour Marseille, c’est loin d’être négligeable ! » Et puis, explique-t-il, ce n’est qu’un tour de chauffe avant le « Sommet des peuples », début novembre à Nice, en marge du G20 à Cannes. Moue dubitative de Charles Hoareau, de la CGT : « Il n’y a pas eu de travail de mobilisation chez les précaires et dans les quartiers populaires. Ici, il n’y a que des convaincus. » Christian Pellicani, du PCF, est moins sévère : « Les contre-sommets, ça permet à des organisations qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble de se retrouver et à des militants de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls. »

« Le G20, on dirait la plate-forme d’Attac »

Malgré tout, Mélanie, elle, n’ira pas à Nice : « On en discute collectivement, explique cette indignée marseillaise, mais je n’en ai pas les moyens. » Elle préfère économiser pour monter début octobre à Bruxelles où doivent converger les indignés. Pourtant, les bus pour Nice sont « à prix libre ». Avec cette précision : « Minimum 10 euros », le prix de revient étant de « 20 euros ». Fichu capitalisme… « On sait que le rapport de force n’est pas en notre faveur, reconnaît Stéphane Rio. Mais un contre-sommet, ça ouvre des fenêtres de résistance. »Des fenêtres étroites. En témoignent les 30 kilomètres qui sépareront les puissants des manifestants. Explication de Raphaël Pradeau, l’un des organisateurs : « Pour des raisons de sécurité, la quasi-totalité de la ville de Cannes est en zone rouge. Après avoir envisagé d’organiser le contre-sommet à Mouans-Sartoux, comme on en a marre que les médias ne parlent que des affrontements avec les forces de l’ordre, on a jeté notre dévolu sur Nice. Une ville qui a les capacités d’accueillir jusqu’à 20 000 manifestants. »

Les capacités. Mais pas l’envie. Pas question pour la mairie que les « alter » défilent dans le Vieux Nice : les autorités les ont relégués du côté de l’Ariane. Mais, le 3 novembre, ils manifesteront à la frontière monégasque, « parce que, malgré les beaux discours du G20 sur les paradis fiscaux, souligne Raphaël, on en a un juste à côté ». Toutefois, pour ce militant d’Attac, « le temps fort, ce sera la manifestation du 1er mai… Pardon, du 1er novembre ». Beau lapsus. Alors qu’à l’approche de la présidentielle, partis et syndicats ont la tête ailleurs, les contre-sommets sentiraient-ils déjà la poussière ? En tout cas, libertaires et autonomes ne semblent pas prêts pour un « off » du « off ». À Nice, la contestation sera solidement encadrée. Derrière le vernis « participatif », « l’alter-forum » se prépare depuis plus d’un an, tant au niveau local que national. Et pas que pour le concert du 2 novembre : « Ça ne veut pas dire que c’est téléguidé de Paris, précise Raymonde, d’Attac. Juste qu’il faut un minimum de coordination. » Et Michel, du NPA, de soupirer : « J’espère qu’il n’y aura pas que des militants d’organisation… »

Raphaël, lui, se veut optimiste : « Il y a dix ans, quand on parlait de taxer les transactions financières, on nous traitait d’utopistes. Aujourd’hui, face à la crise, ce que préconise le G20, on dirait la plate-forme d’Attac ! » Le capitalisme recycle tout, même les idées de ses adversaires : « Personne n’est dupe, précise Stéphane Rio. Mais si cette taxe se concrétisait, ce serait une victoire. Après tout, c’est la droite qui a légalisé l’IVG. » Et Raphaël d’embrayer : « À nous d’être vigilants. Et d’aller toujours plus loin. » Sur le Vieux-Port, le Comité catholique contre la faim entame une danse s’inspirant du haka des All Blacks. Un « alter-haka ».

Sébastien Boistel

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