Patrimoine mondial à réinventer
Quand on porte sur les épaules le titre de « patrimoine mondial de l’humanité », accordé par l’Unesco en 2006, difficile d’être toujours à la hauteur. Arles, 3ème ville des Bouches-du-Rhône, a pourtant tout pour plaire : un centre ville à l’architecture préservée doté de vestiges romains magnifiques, un espace protégé avec le parc régional de la Camargue, alors que le tourisme de masse, du côté de la Grande Motte, et l’industrialisation forcenée, du côté de Fos-sur-Mer, ont dénaturé les territoires voisins. Les 53 000 habitants, 80 000 avec l’agglomération, bénéficient donc d’un cadre de vie plus qu’enviable. Ce qui ne fait pas tout. L’industrie mécanique et les ateliers ferroviaires ne font plus vivre depuis longtemps la ville. D’emblématiques réussites économiques comme celles des éditions Actes Sud, Harmonia Mundi, des rendez-vous prestigieux comme les Rencontres d’Arles de la photographie, n’ont pas transformé Arles en eldorado culturel. Endettée, pauvre – un Arlésien sur deux ne paye pas d’impôt sur le revenu – la commune, exposée aux catastrophes naturelles comme les grandes inondations en 2003, et aux sinistres socio-économiques, comme la fermeture de l’usine Lustucru en 2005, doit donc s’inventer un avenir.
Hervé Schiavetti, 52 ans, le maire sortant et candidat à sa propre succession, fait valoir son bilan comme il se doit. On a connu pire. L’endettement de la ville diminue, comme le chômage bien qu’il soit toujours supérieur à la moyenne du département. La communication municipale se charge d’aligner les « faits et chiffres » qui attestent d’une nouvelle ère de progrès et de dynamisme : une baisse de 13 % de demandeurs d’emplois sur l’année écoulée, 1 200 étudiants recensés à la rentrée 2007, 442 permis de construire en 2006, 283 durant les 9 premiers mois de 2007… En octobre, la chaudronnerie des anciens ateliers SNCF a été inaugurée sous un déluge de feu d’artifice : l’acte 1er d’un projet de reconquête d’une friche industrielle de 13 hectares à la lisière du centre ville…
De la poudre aux yeux, bien entendu, selon l’opposition. « Ils ont fêté une coquille vide. Derrière les façades rénovées, il n’y a rien, pas de projets, persifle Richard Flandin, 41 ans, tête de liste présumée UMP. Rien n’est fait pour rendre la ville attractive. Beaucoup d’Arlésiens vont faire leurs courses ou vont se faire soigner à Nîmes qui n’est qu’à 15 minutes par l’autoroute. » Jugement que confirme, en écho, l’autre candidat déclaré de la droite locale, Serge Berthomieu, 50 ans, membre de la Chambre d’économie et de commerce arlésienne : « La mairie se gargarise du nombre des étudiants pourtant, à 100 près, ils étaient aussi nombreux il y a 15 ans. La mairie ne jure que par la culture, mais elle n’a pas été capable d’obtenir un label de pôle de compétitivité dédié au secteur. » Jean Vernet, 72 ans, leader de l’UMP battu en 2001, aime les métaphores. « Arles ne sait pas monnayer ses attraits, explique-t-il. Comme une belle fille qui fait le trottoir mais reste dans les coins sombres de la rue. »
Patrimoine de l’humanité, Arles est aussi une réserve politique : l’une des trois seules villes de France de plus de 50 000 habitants, hors la région parisienne, a être dirigées par un maire communiste. « Avec Montpellier, l’une des deux seules, entre Perpignan et Menton, à avoir à sa tête un maire de gauche », précise Hervé Schiavetti. Elu en 2001 sur un coup de poker, en s’imposant à la hussarde contre le maire sortant socialiste, le 1er magistrat joue depuis une carte très consensuelle. Ce qui ne le prémunit pas contre les piques de ses partenaires.
« Arles est une ville de premier plan touristique, avec un patrimoine classé, les bâtiments ont été rénovés à grands frais mais les bagnoles n’arrêtent pas de tourner dans le centre en le dégradant », déplore Catherine Levraud, 47 ans, ex-Verte, adjointe à l’environnement, et candidate… sans étiquette. « Le maire devrait lever la tête du guidon, de la gestion au jour le jour, afin d’exprimer plus franchement sa vision pour les dix ans à venir. Il gère notre ville plutôt comme un village », tacle David Grzyb, 35 ans, adjoint au logement, président d’Arles plurielle, qui regroupe les élus socialistes.
Reste que la réélection d’Hervé Schiavetti ne fait guère de doutes. La droite est divisée. « Paris veut nous imposer un candidat sans explication : Richard Flandin, directeur de cabinet du maire de Nîmes », peste Marguerite Arsac, conseillère municipale. « Elle me déteste, elle dit que je suis un voyou, un voleur, un Nîmois, proteste l’accusé. Schiavetti est né à Marseille, Vauzelle à Montélimar. Nous sommes au 21ème siècle, il faut savoir s’ouvrir. » Marguerite Arsac, le groupe Alliance arlésienne des élus UMP et divers droite, soutiennent malgré tout la candidature de Serge Berthomieu.
Un fait pourrait troubler la sérénité du maire sortant. Le village de Salin-de-Giraud va obtenir son autonomie en se séparant d’Arles pour devenir la 120ème commune des Bouches-du-Rhône. Si la décision préfectorale tombe très opportunément avant le 9 décembre, la dissolution du conseil municipal d’Arles sera aussitôt prononcée. Conséquence : Hervé Schiavetti n’occuperait plus alors officiellement le fauteuil de maire en se présentant devant les électeurs. Un scénario qui ne présente pas que des désavantages. « L’Etat UMP va sans doute se livrer à une man?uvre politicienne scandaleuse en fracturant ainsi la commune d’Arles, dénonce David Grzyb pour le parti socialiste. Dans de telles conditions, toute la gauche arlésienne se devrait de faire bloc. » Au bénéfice du camarade Schiavetti.
Michel Gairaud
AU SOMMAIRE
– Salin-de-Giraud : Une facture salée – Michel Vauzelle : Medicine man – Contournement : L’autoroute joue à l’Arlésienne – Rêve : La révolution culturelle – Lustucru : Retour sur investissement – Entretien avec Hervé Schiavetti