Nouvelle Acropole et vieilles lunes
Fin novembre, le mouvement antifasciste Ras L’Front organisait un rassemblement devant un lieu de culture et d’initiation à la philosophie, l’Espace Salvator, situé à Marseille sur le boulevard du même nom. Ils entendaient ainsi dénoncer l’implantation massive dans la ville de la Nouvelle Acropole, un mouvement sectaire, qualifié comme tel dans les différents rapports parlementaires consacrés à la question. Pourquoi un tel rassemblement de la part d’un mouvement plus connu pour son engagement contre les différents mouvements fascistes en France plutôt que dans la lutte anti-sectes ? Justement parce que cette secte est soupçonnée de masquer une organisation à tendance « fachoïde ».
Le rapport parlementaire de 1996 cite notamment le témoignage d’un ancien adepte. Il raconte : « Entré dans une école de philosophie à la façade honnête, vous vous retrouvez très rapidement dans une secte aux visées politiques, au caractère d’extrême droite et de type néo-fasciste, et si vous ne réagissez pas rapidement, vous risquez de vous retrouver en uniforme de style paramilitaire (bleu-marine pour les femmes, noir pour les hommes et marron pour les officiers), le brassard au bras, l’étendard dans une main, chantant des chants guerriers au rythme de musiques militaires, puis baissant la tête, le genou en terre. » Fermer le ban.
La description fait froid dans le dos. On peut y trouver confirmation dans un certain nombre d’écrits émanant du gourou historique de la secte, aujourd’hui décédé, l’Argentin Jorge Angel Livraga, surnommé JAL. Son Manuel du dirigeant fait effectivement état d’une vision anti-démocratique, pyramidale et sexiste de la société. La Nouvelle Acropole y est décrite comme l’avant-garde de la société future régie et organisée selon des préceptes faussement platoniciens. Là où le bât blesse, c’est que ces écrits sont plutôt anciens (ils datent des années 70 et ne peuvent pas être utilisés devant des tribunaux) et sont considérés comme apocryphes par les membres de la secte eux-mêmes. Ceux-ci disent en effet que la plupart des citations du maître sont en fait des notes d’élèves datant de sa période argentine.
Alors comment dire que la Nouvelle Acropole est une secte fascisante ? Difficile, en fait. Lorsqu’on se rend, à Marseille, à une conférence de la Nouvelle Acropole, animé par Philippe Guitton ou sa femme Brigitte Boudon, on est surtout frappé par l’indigence du cours philosophique qui est dispensé. On est plus dans le domaine de l’ésotérisme que de l’initiation philosophique. De la doctrine platonicienne, ils ne retiennent que l’élite des philosophes éclairés qui doit conduire le monde et la symbolique un peu lourdingue de la montagne que l’on doit gravir en spirale pour atteindre le nirvana de la sagesse. Philippe Guitton fait clairement référence à la théosophie, doctrine ésotérique qui fait également l’objet d’activités sectaires d’autres groupes. Il fait aussi mention très rapidement de soucis « vite dissipés » d’accusation de sectes par un rapport parlementaire « dans les années 80 ». Sur le coupon d’inscription aux cours de philo, la loi du 12 juin 2001 qui condamne les manipulations mentales est mentionnée – pour se donner un semblant de respectabilité ?- sans dire qu’il s’agit de manipulation mentale.
Difficile d’aller plus loin. Les témoignages d’anciens membres sont rares. En fait, les gens assistent à un cycle de cours (ou de dessin, danse indienne, ikebana…) puis s’en vont déçus, lassés, sans prendre forcément conscience qu’ils ont peut-être participé à un groupement sectaire. Bien rares sont les membres à avoir poursuivi plus loin leur participation. Ceux qui ont pénétré le centre international de la Cour Pétral (dans le centre de la France), décrivent une stricte partition des activités par sexe (cuisine et ménage pour les femmes), des salles secrètes avec musique douce diffusée dans chaque pièce, statues faussement égyptiennes et, là encore, séparation stricte des sexes (1). Personne n’est allé plus loin. Les équipes de journalistes qui ont tenté de pénétrer la secte se sont faits salement éconduire. Les soupçons demeurent mais les preuves s’arrêtent là. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas matière à se méfier.
Gilles Bribot
(1) Cf. Marseille l’Hebdo du 8 septembre 2004.