Nice : Plus long, plus cher, moins utile
« Nice devrait à l’automne inaugurer le tramway le plus cher de France à l’issue du chantier le plus mal géré du monde ». La formule, lapidaire, est signée Rudy Salles, député réélu sous l’étiquette « Nouveau centre ». En dehors des derniers fidèles du maire Jacques Peyrat, toujours estampillé UMP, les critiques pleuvent sur la gestion calamiteuse et frauduleuse, qui a présidé à la conduite de ce dossier. « On a commencé par une ligne ridicule, moins de 9 kilomètres, pour un maximum de souffrance », résume avec férocité Mari-Luz Hernandez-Nicaire, conseillère municipale des Verts. Après de multiples reports – le plan de déplacement urbain publié en 2001 annonçait une mise en service du tramway en 2003 -, l’inauguration est désormais annoncée fin octobre pour un coût final de 400 millions d’euros. « On reçoit régulièrement de nouvelles rames et la marche à blanc aura lieu à la rentrée », assure Louis Nègre, maire UMP de Cagnes-sur-Mer, vice-président de la Communauté d’agglomération Nice Côte d’Azur (Canca) délégué à l’aménagement et aux déplacements.
Difficile de résumer l’épopée du tram niçois sans réécrire l’Iliade et l’Odyssée. Il y a d’abord, le choix d’un tracé très contesté. « Il fallait faire Est/Ouest et non pas Nord/Sud », regrette Rudy Salles. La majorité des déplacements se fait, en effet, pour entrer ou sortir de Nice, selon un axe est-ouest longeant le littoral. « Pour arrêter l’arrivée des voitures en centre ville, il aurait donc été nécessaire d’adopter ce parcours, explique la conseillère des Verts. Et de prévoir des parkings-relais aux extrémités de la ligne. Actuellement, ils sont soit minuscules, soit inexistants. Le tracé adopté se superpose à la ligne de bus la plus rentable de la ville. Le succès financier est assuré mais pas l’objectif de désengorgement routier… ». Analyses que conteste bien entendu Louis Nègre : « de tous les tramways modernes réalisés en France, la ligne 1 sera celle qui dessert la plus grande intensité urbaine ».
Comme très souvent à Nice, le chantier a été égayé, et paralysé, par une affaire de corruption. Dominique Monleau, le conseiller municipal en charge du dossier tramway a été mis en examen pour « corruption et recel d’abus de biens sociaux » en avril 2005 : le maître d’?uvre du chantier, la société Thalès, ayant versé des pots-de-vin pour s’emparer du marché, concédé in fine au groupe Coteba. Mais d’autres procédures sont en cours : le tribunal administratif a annulé, en février dernier, l’attribution à Eiffage du centre de maintenance pour une irrégularité sur l’appel d’offre. « Pendant des mois et des mois, toutes les rues ont été éventrées en même temps sans que les travaux n’avancent », déplore Rudy Salles. « Tous les petits commerces dont le chiffre d’affaire était flageolant se sont cassés la figure, décrit Mari-Luz Hernandez-Nicaire. Il y a eu de véritables drames, des menaces de suicide. »
Le tramway n’a pas encore fait son premier essai grandeur nature, les plaies de sa construction ne sont pas encore refermées, mais la Canca communique sur son extension et deux futures lignes, portant à 35 kilomètres le réseau à l’horizon 2020 ! Une première concertation publique vient de s’achever. Elle acte le principe d’une prolongation de la ligne 1 vers la Trinité. « C’est obligatoire d’aller au bout du projet car l’Etat a accordé ses financements à condition que le tramway passe par le quartier de l’Ariane pour le désenclaver », rappelle Rudy Salles. Quant aux lignes T2 et T3 vers la Plaine du Var et Cagnes-sur-Mer, si la Canca renouvelle sa contre-performance, il faudra peut-être attendre le 22ème siècle pour pouvoir les emprunter…
Michel Gairaud