Nature en parcs
« C’était un moment de consensus très fort, positif, émouvant parfois. » Jean-Pierre Giran, député UMP du Var, n’évoque pas les exploits de l’équipe de France lors du mondial de foot mais l’adoption, à l’unanimité, de la loi « relative aux parcs nationaux » qu’il a défendue avec succès. « Durant trois ans, on a beaucoup concerté. A l’opposé du CPE, quand on veut faire quelque chose d’efficace, il faut prendre son temps. » Quoi de nouveau sous le soleil du Mercantour, des Ecrins et de Port Cros ? « Depuis la création des parcs nationaux, en 1960, le monde a changé, la décentralisation a eu lieu, poursuit le rapporteur. L’arrivée des parcs a parfois été vécue comme une sorte d’extraterritorialité, comme l’intrusion d’un pouvoir central et jacobin. Cela a créé des réactions de rejet. Ce sentiment de parachutage parisien était un frein à la création de nouveaux parcs nationaux, en Guyanne, à la Réunion et dans les calanques de Marseille-Cassis. » Au début des discussions, les associations de protection de la nature se sont émues du projet de renforcer le poids des élus locaux dans les conseils d’administrations des parcs. S’agissait-il de mettre en place une protection au rabais ? Le législateur a contourné le problème en confortant les réglementations existantes au « c?ur » des parcs et en formalisant l’existence d’une « zone d’adhésion » pour les territoires adjacents, zones ouvertes au « développement durable » où une charte pourra faire l’objet d’amples discussions. « L’union mondiale de la nature, l’UICN, a déclaré que la nouvelle loi permettait de renforcer le classement international des parcs français », se réjouit Jean-Pierre Giran.
La région Paca, si pleine d’attractions, est-elle le plus beau parc ? Elle contient en tout cas une concentration hors du commun d’espaces labellisés. Outre les trois parcs nationaux existants et celui en préfiguration, Provence-Alpes-Côte d’Azur héberge quatre parcs naturels régionaux – la Camargue, le Lubéron, le Queyras et le Verdon – et prévoit d’en créer 4 nouveaux : les Alpilles, dont la naissance devrait être officialisée en novembre-décembre, les Baronnies, le Haut pays Grassois, le Ventoux. C’est à Lurs en Provence, en 1966, que fut explicitée la raison d’être des parcs nationaux : « à toute extension urbaine d’envergure (par exemple, le complexe de pétrochimique de Fos-sur-Mer), doit correspondre la protection, la création d’une zone de détente à moins d’une heure d’accès. » Contrairement aux parcs nationaux, ils ne sont donc pas d’abord créés pour sanctuariser un espace naturel. Mais à partir des années 80, où les préoccupations environnementalistes se renforcent, les parcs naturels régionaux s’intègrent dans une logique économico-naturelle : leur mission consiste à la fois à protéger et à aménager un territoire. Avec la création ce printemps 2006 des « zones d’adhésions » des parcs nationaux, dont l’objet est sensiblement le même, les frontières entre les deux dispositifs se rapprochent. Au point de mélanger les torchons et les serviettes ? « Les parcs nationaux sont des monuments de la nature, les parcs régionaux sont des projets de développement. Dans les deux cas, ils concourent à la protection de la nature, souligne Jean-Louis Joseph, président de la Fédération nationale des parcs régionaux, président du parc du Lubéron et vice-président PS du Conseil régional. Il n’y a pas de tensions entre protection de la nature et développement harmonieux dans les parcs naturels régionaux, mais une recherche constante d’équilibre. Les parcs régionaux ne sont pas des territoires sous cloche mais des lieux habités. »
Comme à Shtroumpfland et Disneyworld, tout est-il rose en Pacaland ? « Les élus locaux ont souvent considéré la création d’un parc comme l’arrivée d’une structure d’obédience urbaine s’ingérant sur leur territoire », constate Mathieu Leborgne, docteur en sociologie auteur d’une thèse sur le sentiment d’appartenance territoriale dans le parc du Verdon. Les parcs naturels régionaux sont des structures assez permissives qui, confrontés en Paca à une très forte pression foncière due à la remontée de la population de la côte vers l’arrière pays, auront de plus en plus de mal à accomplir leur mission de protection de la nature. » D’autres problèmes se posent. Administratifs : l’entité juridique des « pays » chevauche ou se juxtapose à celle des parcs naturels régionaux, notamment concernant les politiques de développement du territoire. Sur le plan financier, ce n’est pas non plus l’Eldorado. « Les 2/3 des parcs régionaux en France ont des difficultés financières, reconnaît Jean-Louis Joseph. Cela s’explique par une conjonction de facteurs. Il y a d’abord la baisse des aides de l’Etat aux parcs et aux réserves. Les parcs naturels ne lèvent pas d’impôts. Ils sollicitent des subventions des collectivités territoriales. Les départements, les communes nous demandent de plus en plus de missions auxquelles, dans ce contexte de restriction budgétaire, nous avons du mal à répondre. Nous sommes, en quelque sorte, victimes de notre succès. » Toutes les inquiétudes concernant la protection de la nature dans les parcs nationaux ne sont pas complètement levées. « La nouvelle loi est assez floue au sujet de dérogations pour favoriser les activités locales, souligne l’alpiniste François Labande, co-fondateur de Mountain wilderness, membre du conseil d’administration du Parc des Ecrins. Nous avons peur que cela soit une porte ouverte à des dérives. »
Bon gré mal gré, des Alpilles au Queyras, de parcs nationaux en parcs naturels régionaux, se dessine en Paca une chaîne de territoires labellisés et protégés dans l’arrière pays. Le Conseil régional lance une grande étude stratégique sur les parcs naturels régionaux existants et en cours qui, d’ici février 2007, va tenter d’identifier et d’unifier les actions à mener. Une démarche de clarification partagée par la fédération des parcs naturels. « Nous tentons de promouvoir l’idée de corridors écologiques, souligne Jean-Louis Joseph. Pour l’instant, en France, nous travaillons un peu bout à bout,( parc par parc.) Il est temps de réfléchir de façon plus globale à la cohérence nationale et régionale des politiques de protection de la nature et d’aménagement des territoires. Sans oublier les lieux qui n’ont pas la taille suffisante pour devenir des parcs mais nécessitent d’être préservés. » Mais l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions. Protéger un territoire dans un parc naturel régional ou dans la future zone d’adhésion d’un parc national, celui des calanques par exemple, peut également servir à favoriser une urbanisation de luxe, maîtrisée et réservée aux plus riches. « Les espaces protégés risquent, faute de vigilance, de donner naissance à des territoires d’exception, des lieux de discriminations sociales assez fortes, des territoires réservés à des privilégiés, souligne Mathieu Leborgne. Il suffit d’observer l’évolution sociale du Lubéron devenu une réserve du bon goût provençal, l’antichambre du collège de France et de la bourgeoisie française. C’est ce que certains sociologues appellent la question de l’équité environnementale. » Reste, pour les citadins compressés et stressés, comme l’évoque Pierre Commenville, directeur adjoint du parc du Mercantour, le sentiment d’une urgence : « l’existence d’espaces de découverte et de rêves. » Michel Gairaud
Au sommaire du dossier
De nouveaux projets : Parcs à parcs Camargue : Renaissance dans les marais Verdon : Petit retard à l’allumage Les calanques : Aux calendes grecques ? Mercantour : Loup cherche brebis Queyras : Ski : remonter la pente Port Cros : Poker menteur Ecrins : Espoirs et inquiétudes Lubéron : Victime du succès