Moi, Sophie Duez Marre de cette girouette-là

juin 2010

Sophie Duez a démissionné, fin 2009, de son poste de conseillère municipale d’opposition (PS) à Nice pour entrer, cinq jours plus tard, au Cabinet de Christian Estrosi comme chargée de mission sur le projet culturel du Chantier 109. Un surprenant retournement de veste ? Pas du tout ! Car l’actrice niçoise cultive les contradictions depuis toujours…

Franchement, je ne vois pas où est le problème. L’important pour moi, ce n’est pas de passer de l’opposition PS au cabinet d’Estrosi. L’important pour moi, c’est de pouvoir continuer à travailler sur le projet du Chantier 109. Quoi, vous ne connaissez pas le projet 109 ? Et le Projet Sang Neuf ? Ça ne vous dit rien non plus ? Enfin quoi, les anciens abattoirs de la route de Turin transformés en espace de création artistique ? Un lieu de culture pointu et populaire, la symbiose rêvée de toute la pensée de gauche depuis Jack Lang ! Et si c’est Estrosi qui me permet de mener ce projet, je le rejoins ! Ce n’est pas plus compliqué que cela ! Quoi l’engagement politique ? Vous n’avez quand même pas oublié que je suis avant tout une artiste, j’espère. Et une artiste ne se laisse pas enfermer dans une case, elle ne se laisse pas emprisonner par un système, elle ne se laisse pas brimer. Une artiste, c’est libre et hautement individualiste. Une artiste, ça ne nourrit de contradictions pour avancer (1). C’est toujours ce que j’ai fait.

J’ai eu mon bac C à 16 ans et demi. J’ai fait hypokhâgne et khâgne à Henri IV à Paris. Mais, en même temps, j’étais mannequin chez Elite. J’ai été choriste pour Patrick Bruel sur son tube Marre de cette nana-là et j’ai fait 11 ans de grec ancien. J’ai posé nue dans Lui (2) et, en même temps, je terminais mon mémoire de maîtrise sur « les expressions stylistiques du moi dans l’œuvre de Benjamin Constant ». Je n’avais jamais joué de ma vie et pourtant j’ai été engagée par Michel Blanc sur Marche à l’ombre. Jackpot ! 6 millions d’entrées et nomination pour César du meilleur espoir féminin en 1985. La célébrité me tendait les bras. Mais moi, je ne voulais rien d’autre qu’un homme et une maison dans le Sud, une vie de famille pépère avec un peu de culture pour ne pas tomber chez les nazes. Alors, j’ai détruit la belle rampe de lancement. J’ai enchaîné navets sur navets. 1986 : Je hais les acteurs de Gérard Krawczyk, 1987, Une épine dans le cœur avec Anthony Delon qui jouait aussi mal que moi – y compris la scène de baise qui tourne toujours sur internet. Toujours la même année, j’ai enchaîné Sécurité publique de Gabrielle Benattar et In extremis d’Olivier Lorsac. Bref, en trois ans, j’avais fait les pires choix qu’une actrice en début de carrière pouvait faire.

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« Il y a très peu de maître à la hauteur de leur esclave »

Mais ce n’était pas le plus important car j’avais rencontré l’amour ! Manu Katché ne s’était pas encore fourvoyé dans la télé réalité. A l’époque, il démarrait sa carrière de batteur, il était beau, il était bourré de talents, il jouait avec des stars, il était fort, il était brillant ! C’était exactement ce qu’il me fallait. Je suis tombée raide dingue de lui, ça a duré 10 ans, on a eu deux enfants, j’ai arrêté de bosser pour les élever, je suis revenue un peu à Nice, j’avais le temps. Manu n’était jamais là de toute façon, toujours en tournée. Mais ce n’est pas cela qui a foiré. Le problème, c’est que je suis pour la dépendance amoureuse mais il y a très peu de maître à la hauteur de leur esclave (3). Donc je l’aimais trop, je l’ai quitté. Et bien, quoi ? Normal, non ? Une fois sortie de cette histoire, je suis revenue progressivement au travail. Mais le cinéma pour moi, c’était bien fini. Il n’y a eu que BHL qui m’a prise dans son monumental Serbie, année zéro qui doit être dans le top 5 des films les plus ratés de l’histoire du cinéma français. Non, moi, je suis revenue par la petite lucarne. Le rôle du Commissaire Marie Saint Georges dans la série Quai n°1 m’a remise en selle en 1997. J’ai intégré progressivement le pool des actrices françaises de télévision, en enchaînant plusieurs téléfilms et séries. C’est comme ça que j’ai rencontré Bertrand Delanoé. J’ai participé à quelques ateliers lors de la campagne de Jospin en 2002. Ça m’a donné envie.

De retour à Nice, je me suis collée sur la liste de Michel Vauzelle lors de l’élection régionale de 2004. J’ai continué en 2008, avec la liste de Patrick Allemand pour Nice. C’était bien la campagne, j’ai rencontré plein de gens, j’ai pris la parole, j’ai promis, j’ai même enregistré un titre. Mais une fois installée comme conseillère municipale d’opposition, j’ai commencé à m’ennuyer. Au Conseil, il faut parler sur tout, quitte à dire n’importe quoi et on passe son temps à régler ses comptes (5). Et plus que tout, il y avait cette logique de parti qui fait que l’on ne peut pas exister individuellement. Trop dure pour une artiste ! J’ai voté à plusieurs reprises avec la majorité, notamment sur la création de la Communauté urbaine. C’est là que Christian m’a remarquée. Il m’a proposé de travailler sur des anciens abattoirs 6 mois à peine après mon arrivée dans le conseil municipal. J’ai accepté, c’était toujours mieux que la cour de récréation. Je me suis prise au jeu, j’ai donné le change, Christian l’a senti, il m’a nommée chargée de mission en septembre. Mais je ne pouvais pas mener ce travail-là bénévolement et partir régulièrement à Paris pour gagner ma vie dans des séries télés. Il fallait que je me décide rapidement pour régler cette contradiction. Ce que j’ai fait finalement en quittant l’opposition pour entrer au Cabinet du maire. Je sais, on m’attend au tournant. Comme d’habitude. Les contradictions, c’est nourrissant, mais c’est fatiguant aussi.

Par Stéphane Sarpaux

1) Le Monde, 29 décembre 2009 (2) Lui, novembre 1982, n° 226 (3) Tout le monde en parle, 19/02/2000 (4) « Changer d’air, changer d’ère », encore visible sur dailymotion (5) Nice Matin, 17 décembre 2009 (6) L’interview-vérité de Sophie Duez en vidéo sur Nicematin.fr

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