Moi, Francis Lalanne, le Christ vert : Tête de liste aux Européennes

avril 2009
Chanteur, supporter, comédien, écrivain, héros de reality show, Francis Lalanne est désormais homme politique. Tête de liste aux européennes dans le sud-est pour l’Union des écologistes indépendants, conglomérat de groupuscules, il a pour modeste ambition de sauver la planète.

Il faut sauver notre mère, notre seule patrie, la teeEEERRrre. (Précédé par son chant, Francis Lalanne entre au siège de la Société nautique de Marseille sur le Vieux-Port. Nous sommes le 6 avril, c’est la conférence de presse de lancement de sa candidature comme tête de liste de l’Alliance des écologistes indépendants pour les élections européennes (1).

Il a son costume habituel : catogan rouge dans les cheveux, bomber noir de supporter et bottes de cavalerie. Il envoie des baisers à la petite poignée de journalistes et à quelques fans –d’anciennes copines de lycée– venus assister à ses débuts en politique. Il s’agenouille aussitôt et embrasse le sol). Chers amis, merci à tous d’être venus me soutenir. En effet, j’ai préféré mener ma liste sur le territoire qui m’a fondé (2). 27rv63trax_lalanne.jpg Ah… Marseille… Ville vermeille… Tu m’émerveilles… (A sa droite, le chercheur Michel Villeneuve, délégué régional de Génération Ecologie tousse). J’ai grandi sur cette terre et même si je suis un arbre en voyage, vous savez, que c’est ici que mes branches sont enracinées (3).

C’est ici que je veux pousser mon cri : si on veut sauver la terre, il faut commencer par l’étang de Berre (4). Je ne l’ai jamais raconté mais c’est au bord de cette mer fragile, cette mère souillée par l’argile que j’ai écrit mes premiers textes. Mes cheveux déjà longs et soyeux battaient dans le Mistral. Oui Denise, vous pouvez me toucher les cheveux. Je pensais à mon premier amour, je pensais à l’humanité, je pensais aux mots que j’allais forger, forts comme l’épée, pour conquérir la liberté. Et, dans l’eau moussante, les muges passaient, le ventre au vent.

Dans leurs yeux morts, j’ai vu le destin qui m’attendait, j’ai pleuré mais je l’ai accepté. J’ai aussi compris que mes mots ne suffiraient pas. Il fallait que je m’engage corps et biens dans ce combat. (Il tente de déchirer sa chemise mais le tissu résiste. Alors il la déboutonne). Oui Monique vous pouvez m’embrasser le torse… Désormais, nous serons présents à toutes les élections. Il faut mettre les mains dans le cambouis et reprendre le pouvoir que l’on nous a confisqué (5). (Un journaliste lève le doigt pour une question que Francis Lalanne n’écoute pas : il est en train de caresser le chihuahua de Monique).

Comment ça, un problème de crédibilité ? Mais pas du tout : je suis chanteur, acteur, écrivain, supporter. Je touche tout le monde. Tiens, est-ce que vous savez que je suis celui qui, en France, a découvert le slam, qui lui a donné son âme (6). (Il lève l’index et le pouce). En récompense, le hip-hop a sauvé le hippie que je suis (7). Joey, si tu m’entends de ta prison, courage, je t’ai écrit une chanson (8). (Un autre journaliste tente une question sur les précédentes élections perdues par le chanteur, mais le chihuahua de Monique lui saute à la gorge).

Quoi ? Des échecs ? En 15 jours de campagne à Strasbourg, on a fait 4e avec 4 % des voix. C’était un galop d’essai. A Montauban, aux municipales, on a fait 7 %, mais il y avait une dissémination de l’opposition (9). Là, je vise la victoire dès le premier tour. Les gens ne m’ont pas oublié. Je suis quand même celui qui a appris le mot anathème à des milliers de lycéennes. Vous vous souvenez ? (Monique, Denise et Nicole se lèvent et balancent les bras : Pense à moi comme je t’aime et tu me délivreras, tu briseras l’anathème qui me tient loin de tes bras (10)). Alors ? Ah… Ah… Donnez-moi ma guitare. (Un assistant se précipite et lui tend son instrument. Il s’ébroue et commence une chanson avec un improbable accent anglais). Qu’est qu’on attend pour faire de l’énergie avec le vent ? Qu’est-ce qu’on attend pour sauver faire place nette, pour sauver la planète ? Lala, lala… (A la fin du morceau, il salue bien bas les trois fans éperdues qui l’applaudissent à tour de bras. France Gamerre, la présidente d’honneur de Génération Ecologie les a rejointes, un briquet allumé au poing. Michel Villeneuve tente de disparaître en sortant à quatre pattes de la salle).

Merci, merci… Le 24 avril je sors un livre, le 28 avril je sors un disque. On verra s’ils pâtissent de mon engagement politique (11). On verra si la censure existe encore dans ce pays. Certains ne veulent pas entendre les vérités que nous avons à dire. Par exemple sur l’incinérateur de Marseille. Il existe des solutions écologiques pour faire face à ce problème : grâce à l’épuration biologique, on peut éduquer des micro-organismes à ingérer les polluants (12). Moi-même, j’ai éduqué des micro-organismes pour faire face à un problème de pellicules qui me poursuit depuis de longues années. (Il dénoue son catogan et un flot de cheveux lui tombe sur les épaules. Monique s’évanouit). Je peux secouer la tête, il n’en reste rien. Vous voyez, les solutions existent.

Et n’allez pas croire que, pour moi l’écologie est une découverte récente. Déjà, dans les années 70, à Marseille, j’avais créé un trio avec mes frères qui s’appelait Bib Folk. Et oui, bien avant, Brigitte Bardot, je me souciais de l’avenir des animaux (Tonnerre d’applaudissements au premier rang). Et puis mes idées dépassent la seule écologie : car le premier espace à dépolluer, c’est la République (13). (Il s’emporte et commence à crier).

Il faut bouter les tyrans hors de la France gouvernementale ! Il faut bouter les Soudanais hors du Darfour ! Il faut imposer une langue unique à l’Europe ! Une seule armée, une seule équipe de foot ! Il faut un nouvel hymne ! Je l’ai composé. Si vous voulez, je le chante ? (Trois journalistes se lèvent et font mine de sortir. Lalanne tente de retenir l’un d’eux par le bras). Attendez, j’allais chanter… (Le journaliste tire le chanteur par la chemise qui finit par craquer. On entend des bruits étouffés de bagarre puis un grand PLOUF !). Fin de la conférence de presse.

Didier Beau

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