Moi, Charles Milhaud Le casse-noisettes casse-bonbons
Madaaaaaaaame ! Y’a François Pérol qui fait rien qu’à me piquer mon écureuil ! ! C’est pô juste ! Comment ça, ça fait déjà un an ? Ben justement, il me l’a toujours pas renduuu, ouiiiiiinnnn ! Pourquoi moi je serais le seul patron de banque française à avoir été viré pendant la crise financière ? Eh ben si c’est comme ça, je vais faire un livre pour raconter toute l’affaire, et je vous garantis madame que « des têtes vont tomber » (1).
On dirait du Pasqua ? C’est vrai j’ai un peu copié son style je-vais-faire-un-malheur-mais-en-fait-finalement-non. Dans mon livre, édité à Monaco m’dame, vous apprendrez que tous les gens qui étaient d’accord avec moi pour fusionner les Caisses d’Epargne avec les Banques Populaires, y sont trop chouettes. Pi que les autres, bah y sont trop cons. Et que tous ceux qui ont eu ma tête après nos pertes de trading, y z’ont pas de noisettes dans le caleçon.
« Un apprenti sorcier gonflé de suffisance »
Vi, on avait bien perdu 752 millions d’Euros en une semaine. Mais c’est cinq fois moins que Kerviel, pi nous on l’a découvert au bout de trois jours alors que ces glands de la Société générale, ça leur a pris un an. Ça devait pas être bien grave dites, puisque la Commission bancaire nous a infligé qu’une amende de 20 millions d’Euros. (2) Alors moi je dis que « tout ce qui était en mon pouvoir a bien été fait dans les règles », et « qu’on ne peut pas se protéger totalement de la folie d’un homme » (3). Remember Nick Leeson, back in 1995. Pourquoi moi je paierais pour la connerie d’un « apprenti sorcier gonflé de suffisance » (3) ? En plus, c’était vraiment pas de bol : c’est arrivé dans la dernière ligne droite d’une opération où on liquidait nos positions à risques. Et si on avait pas réagi comme des cracks, ça aurait pu faire un trou de 3 milliards (3).
Quoi ? C’est un peu comme si les gars de Tchernobyl nous disaient « cinq minutes avant que ça pète, tout allait parfaitement bien » ? Madame, vous seriez pas adhérente d’un syndicat gauchiste, vous ? Nan paske si c’est ça, je vais le dire au directeur… Je suis tout de même élu UMP à Marseille, délégué au développement international de la ville. Sarkozy c’est mon ami, mon idole, tout ce qu’il dit et fait, c’est trop bien. Même quand il fait des discours socialisant à Toulon, en septembre 2008 : « L’idée que les marchés financiers ont toujours raison était une idée folle. Le capitalisme financier a contribué à pervertir l’économie. Se contenter de mettre toutes les pertes à la charge du contribuable et faire comme si rien ne s’était passé serait aussi une erreur historique. » A mon avis, le petit Nicolas a eu là « des mots incroyables, d’une rare lucidité sur la crise économique et financière que nous traversons » (3).
« Allons enfaaaaants de laaa pâtriiii-i-eu ! »
Et même que je suis d’accord pour dire que « durant trop longtemps, les chefs n’ont pas payé » leurs erreurs. Mais moi, justement, j’en avais pas fait ! Depuis je suis devenu boss de la boîte en 1999, ma vision elle était trop claire et juste : sortir l’Ecureuil de sa gestion pépère d’épargne pour lui faire faire de tout, de l’assurance, du crédit, du trading, la totale ! La preuve que j’avais raison : on a perdu le monopole sur le livret A cette année ! Et pi transformer une banque mutualiste en mastodonte de la finance, c’est cool paske comme elle appartient à ses sociétaires, on peut pas faire d’OPA dessus. Et ça pour la grandeur de la France, pour « conserver des centres de décision sur notre territoire national » (3), c’est capital. Car les banquiers français font moins d’erreur que les autres, c’est bien connu ! Allons enfaaaaants de laaa pâtriiii-i-eu ! !
Hein ? L’avantage de la banque mutualiste, c’est surtout qu’elle est sensée mieux défendre l’intérêt de ses clients, qui sont aussi automatiquement ses actionnaires ? Mais dépassez un peu les clichés, m’dame ! Quand notre mini-Kerviel à nous nous a planté 750 millions, on en était à 18 milliards de fonds propres, tu parles d’une mise en danger de nos sociétaires ! Et pi moi, au mieux, je gagnais de 500 000 à 1,5 million d’Euros par an, deux fois moins que mes petits copains des banques privées « hardcore » (4). Je remplissais à peine 32 livrets A à l’année, ou 32 SMIC comme vous voulez… Alors avec ça, me virer comme un malpropre à un an de la retraite, c’est vraiment trop inzuste. Tout ce qui me reste maintenant, c’est des fauteuils dans quatre conseils de surveillance ou d’administration, mon petit hochet à la mairie de Marseille, et puis du temps pour laver mon honneur. Quoi ? Va d’abord falloir que j’apprenne à ne pas envoyer bouler les gens qui m’attaquent ? Madame, « tout ce que vous dites est faux et ne mérite pas une réponse » (5) !
Par Marcel Truffo
La Provence 19 octobre 2009 La Tribune 16 juillet 2009 Qui veut la peau de l’Ecureuil ? Charles Milhaud, éditions Alphée 2009 Libération 5 novembre 2009 Tchat laprovence.com, 30 octobre 2009