Moi, Charles « Lolo » Gilardenghi, « au point mort »
Morning, Sir. You want a cab ? I saw you raise your hand… YOU TALKIN TO ME ??? TALKIN TO ME ??? ‘CAUSE I DON’T SEE ANYONE ELSE STANDING AROUND HERE ! Hou eh, doucement là, j’ai des absences, parfois j’ai l’impression de vouloir être deux autres. Alors que je suis déjà moi, Lolo le taxi-y-va-pas-partout, patron de l’Union syndicale des petits propriétaires de taxis des Bouches-du-Rhône et de l’intersyndicale marseillaise. Mon look, c’est pas chapeau melon ou crête d’iroquois, c’est deux-pièces et joues couperosées. Y en a qui sillonnent Niou Yorke ou Lonedonne, moi je parcours la Provence et même le Languedoc pour rencontrer mes frères taximen et pousser un cri : « Halte au racket ! (1) ». Ma berline avec sièges en cuir et moumoute au volant, c’est mon bureau de l’hôtel de ville de Marseille. Gaudin m’a embauché comme « conseiller spécial » pour faciliter les relations avec la profession. Il m’a aussi collé à ma lunette avant un petit toutou en plastique qui fait tout le temps oui de la tête, Dédé Caméra, adjoint au maire aux voitures publiques. Son boulot, c’est retirer l’autorisation de stationner à tous les gars qui me reviennent pas : vélos-taxis, motos-taxis, et puis maintenant auto-partage. Je décroche ma cibi, je lui dis qui taper, et emballez, c’est pesé.
Bon on n’est pas toujours aussi bien reçus : à Avignon, par exemple, y z’ont pas su bloquer ces flibustiers d’Easy take, qui font de la voiture low-cost avec chauffeur, sur réservation. Bientôt, ils veulent s’implanter à Cavaillon. Et ma gourmette, aussi, tu la veux ? Tout ça, c’est déjà 30 % de courses en moins pour nous, ces salauds sont moitié moins chers qu’un taxi. Alors ouais, on peut dire que dans toutes les autres grandes villes du monde, y’a coexistence entre taxis « en maraude » et taxis sur commande ou en garage. Une étude (2) a même montré qu’avec ce système, ce sont les pauvres qui utilisent le plus les taxis, dont les prix sont mécaniquement plus bas. Et en même temps, y reste toujours une clientèle pour les taxis luxes comme les cabs noirs de Mister. I beg your pardon, sir, do you mind if I put your bag in the back ? Don’t bother, sir, I’ll do it… THIS CITY IS FULL OF FILTH, IT’S LIKE AN OPEN SEWER !! Ha, mais merde, rien à braire des pauvres, y z’ont qu’à prendre le bus.
Que chacun reste à sa place et moi, toujours du côté du manche. Quand la mairie était à Defferre, les taxis roulaient pour Defferre, quand c’était Vigouroux, on roulait Vigouroux, et maintenant c’est Gaudin. Sauf quand l’UMP et Attali pondent en 2007 un rapport qui propose de dérèglementer la profession. Pas bien méchant, ça reprenait juste les propositions d’un rapport de 1960, enterré dans le bitume depuis. Mais bon, la dissuasion nucléaire, c’est pas fait pour les chiens : on bloque tout Marseille et les élus se pissent dessus. « Avant, les taxis votaient pour moi, maintenant je ne sais plus », aurait pleurniché le maire chez Sarko (3). Du coup, mobilisation générale des députés contre Attali. L’UMP contre le libéralisme sauvage, ça a de la gueule.
« Des taxis viennent me voir pour une place en crèche ou un HLM »
Perso, moi, je suis d’ailleurs aussi contre les élections. Je suis désigné sans scrutin à la tête de l’intersyndicale. « Depuis dix ans, je n’ai été convié à aucun vote, et je ne suis pas le seul (4) », note un collègue taximan. Mennucci (5) me taxe « d’homme au statut obscur et aux méthodes dépassées (6) ». Dépassées ? Mais je ne fais qu’appliquer le bon clientélisme à l’ancienne, comme tout le monde. « Des taxis viennent me voir pour obtenir une place en crèche, un HLM, j’essaie de le leur obtenir (7). » En échange, on rend de menus services. Mes ennemis chez les taxis disent que les aigrefins de la gare, « on les laisse faire car ce sont des colleurs d’affiches (4) ». Pas du tout, on les laisse pas faire : la preuve, en six mois d’enquête, les flics ont arrêté huit chauffeurs de Saint-Charles pour escroquerie au compteur trafiqué, fraude aux organismes sociaux et usage abusif de bons de transport de la ville de Marseille (8). L’opération volant propre c’est bien beau, mais faut pas généraliser, ces gars ne sont qu’une minorité. IT’S LIKE YOU’RE NOT EVEN THERE, LIKE THE TAXI DRIVER DOESN’T EVEN EXIST !! Aow thank you sir, you’re too kind.
Yes yes, les autres, ceux qui ne sont pas de la minorité aigrefine, peuvent tout à fait organiser une entente entre gentlemen pour faire grimper le prix des licences de taxis. « Ça se fait partout, mais on est les seuls à l’avoir [mis par] écrit (9). » Ça nous a valu jusqu’à 18 000 euros d’amende par syndicat, cette histoire, voilà comment on récompense la transparence et l’honnêteté dans ce pays ! Le Conseil de la concurrence juge que ce cartel a eu un impact sur le service « en forçant les chauffeurs à se concentrer sur les trajets les plus rentables et à faire pression sur la ville pour qu’elle ne délivre pas de nouvelles licences de taxi (10) ». Tout ça alors que Marseille pourrait avoir bien plus que ses 1 100 tacos « au vu de son développement touristique actuel et à venir », tout comme Paris pourrait en avoir trois à quatre fois plus pour se mesurer à Londres ou New York.
Alors merci encore une fois à la mairie d’avoir accédé à nos demandes. Et merci à toi, passager, avec les bagages ça fera 13,50. Sur 20 ? Merci m’sieur. Hein ? La monnaie ?? YOU REALLY TALKIN’ TO ME ???????
Martin Scorie