Militaires : l’arme secrète
Parfois la vie est cruelle. Dépossédée de sa préfecture en 1974, Draguignan reçoit en compensation l’Ecole d’artillerie deux ans plus tard. D’abord peu accueillante, la sous-préfecture du Var affiche aujourd’hui fièrement son statut de « capitale de l’artillerie ». Le label est mentionné sur les panneaux aux entrées de la ville. Un canon accueille ostensiblement les arrivants sur la route des Arcs. Mais l’armée à Draguignan c’est beaucoup plus : six formations en tout (l’école, le camp d’entraînement de Canjuers, le centre de défense nucléaire, biologique et chimique, le cinquième bataillon du matériel, le premier régiment d’Afrique et le troisième régiment d’artillerie de marine). Ainsi que quelques petits organismes dépendants du commandement régional basé à Lyon. « Au total, et en comptant les civils, l’armée emploie 3 200 personnes, avance le lieutenant-colonel Schwartz, adjoint au général de la garnison (1). En incluant les conjoints, les enfants et les retraités, la population de la Défense s’élève à 12 000 personnes. » Ce qui n’est pas rien dans une ville de près de 40 000 habitants ! Et seulement 419 foyers habitent hors de la Dracénie. Dernier chiffre : l’armée injecte chaque année 100 millions d’euros sur le territoire intercommunal (en salaires et en dépenses de fonctionnement).
Pour les élus, largement de quoi offrir quelques signes de déférence… Et pas seulement symboliques. L’armée bénéficie d’un véritable traitement de faveur, notamment dans les domaines locaux les plus problématiques : le logement et l’emploi. « Nous avons signé une convention avec six société immobilières qui nous donne accès à un parc de logements sociaux, se réjouit le militaire. Mais ils ne sont pas gratuits ! Les loyers sont comparables à ce que paient les Dracénois, peut-être un peu moins cher. En tout cas, les conditions d’accessions sont les mêmes que pour eux ». Selon ses chiffres, 558 militaires en bénéficient (1/6e de la garnison). L’officier réfute également tout rôle de l’armée dans l’explosion des prix du foncier. Pour lui, les coupables sont sans hésitation « les étrangers ». Pourtant, il avoue que 28 % du personnel de la Défense est propriétaire. Sans compter les retraités… 75 % des militaires basés à Draguignan restent dans les environs.
Depuis 2005, un service d’accompagnement pour l’emploi des conjoints est également en place. Avec un taux de réussite à faire pâlir l’ANPE : 65 % des 341 demandes ont été satisfaites (tous contrats confondus). Mais depuis 2006, les anciens militaires disposent également de leur propre Agence pour l’emploi, l’AEM. Une nécessité selon le lieutenant-colonel Schwartz : « Nos contrats de 5 ou 10 ans n’ouvrent pas de droit à la retraite. Et même après quinze années de services, ce n’est pas suffisant pour faire vivre une famille ». Pour l’instant, ses résultats sont plutôt faibles : 4 % des 50 dossiers déposés ont abouti. Mais l’officier ne désespère pas. « L’emploi est une préoccupation du commandant », assure-t-il. Contacts avec les employeurs, l’union patronale du Var, la chambre de commerce et d’industrie… L’AEM met les bouchés doubles et compte bien profiter des opportunités. Notamment de la zone logistique des Bréguières. « Les gens savent qu’en ce domaine, nos hommes ont des compétences.»
Ce lobbying n’est cependant pas du goût de tous les Dracénois, alors que le chômage dépasse les 12 % de la population active et que l’immobilier flambe à la hausse. « Je comprends qu’il y ait des logements réservés aux militaires, mais il ne faut pas que ça se fasse au détriment des civils », dénonce avec beaucoup de précaution Claude Roux, conseiller municipal socialiste. Tout juste se risque-t-il à une remarque : « les militaires vivent presque en communauté ». Un reproche que réfute le lieutenant-colonel : « Depuis la fin de la conscription, nous avons eu des directives pour être un peu mieux connus. Nous participons pleinement à la vie sociale de la ville ». De fait, les différentes formations de l’armée organisent des festivités chaque année (bal de l’Ecole d’artillerie, fête de Wagram, de la Sainte-Barbe…) et leurs membres s’investissent régulièrement dans les manifestations associatives et municipales.
Mais interdiction d’aller plus loin. « Tant que nous sommes actifs, nous avons un devoir de réserve », rappelle l’adjoint du général de la garnison. Avant de préciser : « Nous avons le droit de vote, comme les femmes » (sic). Un aspect que Max Piselli n’a pas oublié. Le maire UMP n’hésite pas à en faire des tonnes lorsqu’il s’agit de l’armée : pendant un temps, il a organisé un accueil pour les nouveaux militaires. Un ancien officier est devenu président d’Archipels, l’association qui gère le théâtre intercommunal… Il n’a d’ailleurs pas tort. Avec pratiquement un tiers de la population de sa ville, les militaires constituent une part importante de l’électoral local. Et probablement du sien d’abord. Ce dont Christian Martin, ancien maire et candidat socialiste pour les municipales de 2008, a pleinement conscience. « L’armée est le vecteur d’un vote conservateur. Mais alors que j’avais seulement un caporal lors du dernier scrutin, je devrais peut-être avoir un colonel sur ma prochaine liste », se réjouit le chef de l’opposition municipale. Mieux vaut être prévoyant. Le lieutenant-Colonel Schwartz prédit en effet un accroissement des effectifs de la garnison à terme. « Sa situation géographique est excellente pour une projection rapide de force sur des opérations », explique l’officier.
Une nouvelle qui ne devrait pas réjouir les quelques antimilitaristes locaux. A moins qu’ils n’y trouvent matière à renouveler leurs actions symboliques. Comme lorsqu’ils ont peint en rose le fameux canon à l’entrée de la sous-préfecture ou l’ont entièrement recouvert de goudron et de plumes. Ou lorsque les panneaux de la ville, maquillés, annoncent quelque temps : « Draguignan, capitale de l’art »… Jean-François Poupelin