Marcel Rufo, pédopsychiatrie.
La star cath?dipe « Tirelipimpon sur le chihuahuaaaaa, tirelipimpon avec la tête avec les bras, tirelipimpon sur le chihuahuaaaaa, touche à mes castagnettes moi je touche à tes ananas ! » Vous aurez tous reconnu ce sublime tube d’Yvan-Chrysostome Dolto, alias Carlos. Chrysostome, « bouche d’or », auront immédiatement traduit les hellénistes distingués… Bien vu pour un grand garçon bien fixé dans l’oralité et qui pond des chansons pareilles, sacrée Françoise ! Eh oui, dans mon boulot, on est jugé aussi à l’aune de nos propres enfants. Mais les cordonniers sont les plus mal chaussés, dit la sagesse populaire. De Dolto, je ne revendiquerai donc pas tout l’héritage, j’espère que mes gosses déconneront moins, mais comme elle, j’ai mon émission de radio. Sur Europe 1, deux fois par semaine. Mais régressons doucement jusqu’à l’origine du monde… Donc, Rufo Marcello. J’ai vu le jour le 31 décembre 1944 à Toulon, issu d’une famille d’immigrés italiens, marchands de fruits et légumes. On peut sans blaguer considérer que je suis né dans un chou. Tout petit je pensais en italien, alors l’instituteur croyait que j’étais un peu demeuré, parce que j’avais du retard à l’allumage. Le week-end, on allait au stade Mayol, pour le rugby. Papa m’a transmis la passion. Du coup, comme je ne sais vraiment pas quoi faire de mon temps entre les consultations, les deux bouquins par an que je sors, les émissions radio, les interviews, je fais aussi chroniqueur sportif pour Midi Olympique… Pourquoi je m’occupe de gosses malades ? Allez, une petite séance d’autoanalyse, remboursée par la sécu : Petit, j’ai attrapé la tuberculose. Ma mère et ma grand-mère m’ont alors chouchouté pendant quatre mois de convalescence à Collobrières. Et puis pendant ma scolarité, maman me réveillait à quatre heures du matin pour que je récite mes leçons de latin auxquelles elle ne comprenait rien dans l’espoir que je sois le premier de la classe. Être le centre du monde pour ces deux femmes m’a permis de construire un solide narcissisme auquel je dois la carrière que vous savez, et qui vous permet par la même occasion de contempler ma bobine à la télé, sur la couverture des magazines, et sur celle de mes livres aussi, modestement signés « Professeur Marcel Rufo ». Tout ça c’est aussi pour rassurer la ménagère de moins de cinquante ans qui s’inquiète pour sa marmaille, l’autorité de la blouse blanche comme le sourire patelin « vu à la télé », ça marche bien. J’ai fait médecine, et je vous épargnerai la litanie mandarinale de mes titres universitaires. Après m’être tout d’abord orienté en pédiatrie, j’ai bifurqué vers la pédopsychiatrie, car je n’étais pas capable de supporter ces deuils à répétition. Comment Rufo est devenu la référence (à l’instar de César et d’Alain Delon, j’aime bien aussi parler de moi à la troisième personne, spectateur de mon propre génie) ? D’abord parce que vous, les journalistes, êtes de grosses feignasses, toujours en quête de personnages pour vos mises en scène, et qui disent des trucs pas compliqués. Un psy accessible, c’est ce que je me suis efforcé d’être, ayant bien compris les ficelles. Toujours se mettre à la place du journaliste ! Du coup, dès qu’il y a un sujet où l’on a besoin d’un avis d’expert, gamins qui crament des bagnoles en banlieue, jeu du foulard dans les cours de récré ou port du string chez la préadolescente, qui c’est qu’on appelle au téléphone ? J’ai également pour moi un sens certain de la phrase-choc qui dissimule une platitude, comme à propos des émeutes de 2005 : « Sénèque avait été puni d’une fessée d’orties. Je crois qu’on devrait arracher le cannabis des banlieues et, à sa place, planter des orties pour punir ces incendiaires. » (1) Cela correspond aussi à ma manière d’être et d’exercer mon métier. Je suis l’anti-Lacan. Pas de théorie dans mes bouquins, que de la clinique, des cas rencontrés dans ma pratique. Être admiré d’un petit cénacle de spécialistes, cela ne me suffit pas. Moi je veux que tout le monde m’aime ! Alors je distille mon gros bon sens terrien, bien servi en cela par mon physique, car j’évoque plus le rugbyman après une troisième assiette de cassoulet que le rat de bibliothèque. Rajoutons un peu de galéjade à la marseillaise avé l’assent pagnolesque, servez chaud sur un plateau télé aux heures de grande écoute, c’est prêt ! Les bons côtés du truc, c’est que je ne file pas de médocs aux gosses, et que je travaille beaucoup à l’émotion, à l’intuition. Mais parfois ce gros bon sens tourne en méthode à la hussarde, comme quand je reçois une ado anorexique en consultation en commençant comme ça : « Je suis désolé, je suis en retard, on va aller au plus vite. Dans dix minutes, tu vas pleurer; alors vas-y, fais-le tout de suite.» (2) C’était à la maison des adolescents, baptisée Solenn, du nom de la fille de PPDA, une anorexique qui s’est suicidée. Un luxueux édifice de verre, boulevard Port-Royal, dans le très chic 6e arrondissement de Paris, avec Bernadette et ses pièces jaunes derrière le truc. Un joli coup médiatique, normal que je sois au casting. Et puis Paris, la consécration pour un artiste de music-hall ! Au bout de trois ans, c’est bon, j’en ai ma claque, le soleil et les oursinades me manquent, alors je suis revenu à Marseille. Sans complexe.
Paul Tergaiste
1. L’Express, 10/11/2005
2. Libération, 5/07/2007