Les désobéisseurs de l’Islam
Elle avait la rage au cœur, la présidente du Collectif 13 Droits des femmes, Horiya Mekrelouf, en voyant des intégristes et des manipulateurs de tous poils « faire le coup de force » pour tenter de placer en tête de cortège un groupe de femmes voilées. Des femmes, désireuses, en ce 8 mars, journée de la femme, d’exhiber, non pas leur liberté mais leur soumission à Dieu ou à leurs maris. « Ce jour- là, est-ce qu’on doit apparaître comme musulman ou comme citoyen ?, interroge Horiya Mekrelouf. Dans cette manifestation, c’est en tant que citoyens que nous devions défiler et nous exprimer ». Un cri du cœur et surtout un ras-le-bol de se sentir abusée, enfermée, par un show obscurantiste et voir l’opinion encore une fois « tout confondre. »
Le fond de l’air est à la méfiance, 44 % des français jugent la religion musulmane plus inquiétante que les autres, d’après BVA. Alors, à l’ère des antagonismes, on est prié de se positionner. Des voix s’élèvent donc, pour dénoncer l’ânonnement des dévots et réclamer, enfin, un droit à la parole publique : « Il faut cesser de donner la parole à ceux qui ont une vision totalitaire de la religion, s’agace Tewfik Allal, président de l’Association du manifeste des libertés. C’est le panurgisme des médias qui fait qu’on ignore nos indignations et nos condamnations. En attribuant le statut d’invité permanent aux organisations les plus extrémistes, certains médias sont devenus presque des alliés objectifs de l’islamisme. »
Prêt à clicher islamique
Y aurait-il des vapeurs de connivence entre zélateurs pyromanes et médias ? Malek Chebel, écrivain et anthropologue des religions, a son idée sur la question : « Une parole positive et nuancée n’intéresse pas les médias. Celui qui angoisse est plus écouté que celui qui rassure. Il faut dire stop à cette O.P.A de la parole. » Même constat pour Mohamed Moussaoui, le président du modéré Conseil français du culte musulman (CFCM) qui dénonce également « une dissymétrie » dans la médiatisation. « C’est toujours aux plus virulents qu’on donne la parole » déplore-t-il. C’est ainsi que Lies Hebbadj, le boucher polygame de Nantes, au style vestimentaire un tantinet ostentatoire, a occupé totalement la scène médiatique. Il l’a fait avec d’autant plus de facilités que son look sied aux préjugés et cadre bien avec l’image construite sur les musulmans.
« La machine médiatique fabrique du prêt à clicher islamique » décrypte le sociologue marseillais Vincent Geisser. Les islamistes tendent à devenir la norme de la représentation médiatique et les musulmans ordinaires, une espèce en voie de disparition ». « On est dans un cirque, on va au plus simple » traduit à sa manière Mohamed Bensaada, président de l’association marseillaise Quartiers Nord/Quartiers Forts.
Une nouvelle stigmatisation
Face à cette surdité, la tentation de repli sur soi est grande. Dans la minuscule arrière salle d’un snack d’Orange (84), des moues blasées, assemblées dans un cliquetis de verres à thé. Ici, les concepts à l’articulation fine, ne sont pas de rigueur et ça déraille sec : « les journalistes, sont tous racistes ». D’autres sont plus nuancés : « Si t’as une barbe et que tu voles un mouton, tu passes à la télé. C’est de l’info spectacle ». D’autres encore, professent un détachement plus… zen : « J’en ai rien à foutre, j’ai rien à dire ».
Djamel, né à Orange, ancien assistant pédagogique dans un collège, plus proche du chômage que d’Al-Qaida, a connu les regards suspicieux, les réflexions racistes et l’arrivée en 1995 du FN à la mairie. Aujourd’hui il doit faire face à une nouvelle stigmatisation, plus étonnante, plus déroutante, celle des intégristes qui sont prompts à faire passer pour « mécréants » tous ceux qui s’opposent à eux. « C’est vrai, qu’il y a ce nouveau poids qui s’est rajouté. On ose de moins en moins prendre une bière en terrasse, on se retrouve avec des porte-paroles qu’on a jamais choisis. A la télé, ces gens, au lieu de représenter leurs quartiers ou leur ville, ils représentent leur religion. Nous, on est né dans le quartier, mais on nous demande jamais notre avis. » Et de conclure écœuré : « c’est asphyxiant tout ça, t’as l’impression d’étouffer. Il y a une peur, pas physique, mais la peur d’être toujours jugé, épié ».
Après plus de 24 ans de militantisme, à se coltiner les heurs et malheurs des quartiers de Marseille, Horiya Mekrelouf, fait le même constat. « A force de réduire les subventions aux associations de terrain, et de laisser quasi à l’abandon nos quartiers, on les livre en pâture aux intégristes. En plus, quand vous avez le président de la République, qui déclare ouvertement, qu’il préfère les curés aux instits (1), c’est un encouragement et la porte ouverte aux différents intégristes. » Que faire pour déchirer le voile du silence et écouter ceux qu’on n’entend pas ?
Reprendre la parole
« Les associations font un bon travail, mais nous sommes tous co-responsables de la situation. Dans le cadre d’une démocratie, nous pouvons agir par le biais associatif. En étant groupé, on est plus fort et en étant plus fort, les médias nous écouteront », prédit Malek Chebel. L’idée a séduit et le projet de créer une structure laïque représentative des musulmans de France, s’est matérialisée. Forte d’une caution gouvernementale, l’association Mosaïc, née en 2007 à Nice mais lancée à l’échelle nationale en 2009, affiche fièrement son particularisme laïc. Cette fédération des citoyens de sensibilité musulmane, et non de confession musulmane, la nuance a son importance, présidée par un chirurgien orthopédiste niçois, Marouane Bouloudhnine, par ailleurs, conseiller municipal UMP, souhaite créer un rassemblement de citoyens, le plus large possible.
« Les propos inconsidérés de certains intégristes ont, petit à petit, installé, un sentiment de méfiance vis-à-vis des musulmans en général, juge Marouane Bouloudhnine. Nous devons nous mettre au travail, pour reprendre la parole et donner une autre image. C’est pour ça que nous avons créé cette fédération, qui s’inscrit dans la tradition républicaine de citoyenneté, de laïcité et d‘intégration. » Le message Mosaïc est-il passé ? « Le 5 mai dernier, nous avons eu notre deuxième colloque national avec comme intervenants des ministres, des députés et diverses personnalités. J’ai envoyé 1100 comptes-rendus du colloque à tous les médias. Résultat, pas une seule reprise de l’événement dans la presse. C’est affligeant, c’est à se demander s’il n’y pas une volonté de biaiser le message ! »
Pour Houria Bouteldja, porte-paroles du tout nouveau Parti des indigènes de la République (P.I.R), qui aimerait être là où on ne l’attend pas et se retrouve souvent là où on l’attendait : « Ce n’est pas en créant des fédérations fictives qui sont des injonctions à assimilation et des relais de l’Etat, que les choses vont s’arranger. Pour les quartiers, il ne faut pas une démarche d’intégration, mais de libération. » A, l’évidence, comme dirait Audiard certains « font chambre commune et rêve à part » ! En attendant, la grande majorité des musulmans, assignés à résidence dans leur silence, souffre d’être transformée, jour après jour, en une obscure source d’angoisses et de fantasmes….
Par Rafi Hamal