Le tramway : ca rame…
70 lignes de tramway sur près de 500 kilomètres de rail à Marseille, 13 lignes à Toulon, 11 à Nice : Jean-Claude Gaudin, Hubert Falco et Jacques Peyrat ne se sont pas risqués à promettre la réalisation de pareilles infrastructures, même pour le siècle prochain ! Ces chiffres, qui datent des années 1920, renvoient à une époque où la voiture n’avait pas encore imposé sa loi dans nos villes. Ils rendent un peu dérisoire, par contraste, la grande opération de communication, Sarkozy en guest star à l’appui, organisée par la communauté urbaine de Marseille pour inaugurer, début juillet, les 9 petits kilomètres de sa première ligne de tramway. Le retour en grâce des « trams » en France date du début des années 80 dans deux villes pionnières, Nantes puis Grenoble, ayant compris avant les autres que pour préserver leur qualité de vie et leur attractivité économique, il fallait libérer la chaussée de l’emprise des bagnoles.
Depuis, une vingtaine d’agglomérations ont opté pour le tram. Paca était largement à la traîne. Marseille ouvre donc, désormais, la marche. Nice devrait suivre, fin octobre, avec une ligne de 9 kilomètres, si l’adjoint délégué au ruban d’inauguration n’est pas inculpé, d’ici là, pour corruption (1)… Enfin, viendra l’heure de Toulon avec un ambitieux projet de 20 kilomètres, réalisé le jour où le maire aura décidé quelle technique convient le mieux pour son tramway : le rail, le pneu, ou des patins à roulettes (2)
« Partout où les tramways sont inaugurés, une vingtaine de villes en France, le succès est phénoménal, se réjouit Jean Sivardière, le président de la Fédération des usagers des transports (Fnaut). Sur le plan commercial, ils ont toujours dépassé les objectifs. L’investissement est lourd mais le matériel a une grande longévité : 30 ans pour une rame au lieu de 10 pour un bus. L’intérêt d’un tram, c’est surtout d’être plus dissuasif qu’un métro : il prend de la place à la voiture et favorise un report vers les transports en commun. À condition de ne pas se contenter de relier un quartier à un autre et d’opter pour des tracés allant de la périphérie au centre ville avec de grands parkings de dissuasion, les fameux parkings-relais. »
Zut ! À l’exception du tram de Toulon, vertueux mais virtuel, les tracés des 1er lignes marseillaises et niçoises ont un même point commun : ils ne s’éloignent guère de l’hyper centre. « On a fait une navette en centre ville qui roule en partie au-dessus du métro, une opération de prestige pour mieux vendre des appartements. Une fois de plus, l’enjeu de tout cela est une opération immobilière », grogne Michèle Poncet-Ramade, conseillère municipale marseillaise écologiste (Verts). « Avec ses 11 kilomètres lorsque la deuxième ligne sera achevée en 2008, Marseille inaugurera un petit tram qui ne permettra pas de sortir les voitures de la ville, le seul de France sans le moindre parking-relais. En plus, le métro ferme toujours à 21 heures : le couvre-feu se poursuit ! », assène Annick Boët, conseillère municipale marseillaise d’opposition.
C’est qu’un tram, cela coûte cher : d’où la nécessité de souvent réviser les projets à la baisse. Avec leur sa taille modeste, celui de Nice a déjà englouti 400 millions d’euros, alors que Marseille Provence Métropole vient de réévaluer le sien à hauteur de 468 millions d’euros. Les maires UMP de Marseille, Nice et Toulon, il est vrai, n’ont guère été aidés par leur gouvernement parisien. « Jean-Pierre Raffarin a supprimé l’aide de l’Etat à la construction de transports collectifs en site propre, rappelle Frédéric Dutoit, président du groupe communiste en mairie de Marseille. Et rien n’indique que le grand ministère de l’écologie ait l’intention de rétablir cette mesure. Pour autant, la décision, à Marseille, de déléguer en partie au privé, la gestion du tram ne se justifie pas économiquement, ni non plus d’un point de vue pratique (NDLR : métro et bus sont en régie publique). Le financement de la première ligne n’est pas bouclé et celui d’éventuelles extensions vers le Nord ou le Sud encore moins… »
Reste que l’inauguration d’un tramway est toujours un atout pour l’élu qui a porté le projet, particulièrement à quelques mois d’un scrutin municipal. « Ce constat s’est toujours vérifié au niveau national. Seuls les maires n’ayant pas terminé à temps leur réseau avant les élections ont subi les reproches de leurs administrés », affirme Louis Nègre, vice-président de la Communauté d’agglomérations Nice Côte d’Azur en charge des déplacements. Point de vue que nuance fortement Rudy Salles, député « nouveau centre » de Nice : « les Niçois, après quatre années de calvaire, souhaitent avant tout qu’on en finisse mais n’ont pas l’intention de remercier leur maire d’avoir géré ce dossier à coup de menton et en dépit du bon sens. »
Le plus prudent, en fin de compte, c’est d’adopter la Falco attitude. « Le maire de Toulon a eu peur de heurter une partie de son électorat, explique Robert Alfonsi, 1er secrétaire de la fédération socialiste du Var. C’est un homme qui veut être aimé en permanence. Et durant les trois ans de travaux pour un tramway, il n’aurait pas été tranquille. Il préfère donc temporiser en faisant mine de s’interroger sur l’option d’un tram sur pneumatique. » En attendant, Toulon a lancé les travaux pour creuser un second « tube » souterrain destiné aux voitures. La révolution du rail, ce n’est pas encore pour demain…
Michel Gairaud
AU SOMMAIRE
– Toulon : Un tram six pieds sous terre – Nice : Plus long, plus cher, moins utile – Discrimination positive – Promesses à crédit