Le risque zéro existe
Le 30 juin, le premier tronçon du « Tram », sur le parcours entre « Caillols » et « Euroméditerranée-Gantès », devrait entrer en service. Un grand soulagement pour Jean-Claude Gaudin, le sénateur-maire de la ville, et Renaud Muselier, son « monsieur tramway » et premier adjoint, particulièrement chahutés sur le sujet, avec notamment une grève de 46 jours à l’automne 2005. Peut-être également pour les habitants du centre : après les nuisances des travaux, ils vont disposer d’un nouveau mode de déplacement disponible, à la différence du métro, jusqu’à minuit trente tous les jours de la semaine (1). Sûrement pour Véolia Transport, le co-délégataire, avec la Régie des transports marseillais (RTM), du nouveau jouet. Pour la filiale de la multinationale, plusieurs millions d’euros vont en effet rentrer dans ses poches pendant les huit années de la délégation. Quasiment sans aucun risque.
Les conditions de la délégation de service public (DSP) sont en effet particulièrement intéressantes pour l’ancienne Connex. Elle n’a pas déboursé un kopeck pour les travaux (500 millions d’euros), l’infrastructure va concurrencer les deux lignes du métro sur une partie de son parcours (notamment dans le centre ville), la moitié des bénéfices (estimés à 9 millions d’euros par an) lui seront reversés et les trois cadres qu’elle a détachés pour fournir les compétences techniques à l’exploitation (300 000 euros par an) seront à la charge du donneur d’ordre, la Communauté urbaine de Marseille (CUM). Seules les dépenses d’exploitation et d’entretien seront en définitive à la charge du duo. Mais comme le souligne Robert Bret, conseiller municipal et communautaire et sénateur communiste des Bouches-du-Rhône, le risque est minime : « L’équipement est neuf, très attractif et la charge d’entretien restera donc minime pour 8 ans. De plus, tout cela se fera sans risque pour Véolia, car quoi qu’il arrive [la CUM a prévu] de verser une subvention d’équilibre. » (2)
L’objectif « d’offrir aux Marseillais le meilleur service au meilleur prix » défendu par Jean-Claude Gaudin semble donc loin d’être atteint. D’autant que le choix du duo RTM-Veolia n’a pas vraiment souffert de concurrence : il a été le seul à répondre à l’appel d’offre ! « Et curieusement, quand la régie a cherché un partenaire, elle s’est instinctivement tournée vers Veolia », rappelle Jean-Marc Lafon, secrétaire général de la CGT-RTM. Un sous-entendu d’une entente préalable que la CUM a toujours démenti mais dont elle ne souhaite pas reparler au Ravi par peur d’une rechute traumatique des Marseillais. « Aujourd’hui, les élus ne veulent pas revenir sur le dossier. Le tramway va rouler, nous sommes dans une phase positive, ils ne souhaitent pas leur faire revivre de mauvais souvenirs », s’excuse, après beaucoup d’insistance, le service communication. De son côté, Veolia Transport préfère botter en touche : « Nous avons simplement répondu à un appel d’offre. »
Tant de sollicitudes ne s’offrent pourtant pas sans contreparties. Le syndicaliste en est persuadé. « Le tramway va entraîner la restructuration de tout le réseau de transports en commun, assure Jean-Marc Lafon. L’argent va être pris sur les bus, qui bénéficieront de moins de moyens humains et techniques, ce qui entraînera une baisse de la qualité du service public. » Point de vue que partage et complète Robert Bret : « Sans parler des nouvelles normes sociales, comme le service minimum aux heures de pointes en cas de grèves, les deux réseaux vont être en concurrence. Le tramway apparaîtra inévitablement le plus rentable et prouvera que le privé fonctionne mieux. C’est le cheval de Troie en prévision de la privatisation de tout le réseau. » Mais le sénateur communiste garde cependant un espoir. « Le maintien de la RTM dans la délégation est un moindre mal : elle offre les clés pour un retour en régie. » En attendant, Véolia aura fait quelques millions de bénéfices de plus.
Jean-François Poupelin
