Le retour des cadences infernales
Pierre Petit a cru en 1998 que l’heure de la réduction du temps de travail, la fameuse « RTT », avait enfin sonné. Permanent de la CFDT, il coordonne la mise en place des 35 heures dans les Bouches-du-Rhône. Depuis, responsable juridique, il voit défiler dans son bureau toutes les misères du monde du travail.
« Les 35 heures ont été un coup d’espoir, un moment d’altruisme. Il s’agissait de travailler moins, pour travailler tous. L’idée reste juste, mais la manière dont les employeurs l’ont détournée a fait du mal. Désormais, dans les entreprises, le principal problème c’est la mise en tension des travailleurs. Les patrons poussent la machine à fond. Jusqu’où iront-ils ? »
La 1ère loi Aubry, en 1998, obligeait les entreprises à embaucher pour compenser la « RTT ». La 2ème loi, en 2000, se contentait de les inciter à le faire. Résultat : fin des recrutements et intensification des cadences. « Les salariés s’entendent dire : si vous n’arrivez pas à faire le même travail en moins de temps, c’est parce que vous êtes trop lents. » Pierre Petit recueille au quotidien une litanie de souffrances : travail dissimulé, changement permanent d’horaires, de lieux, difficulté de se faire payer à jour fixe. Et constate un phénomène qui s’amplifie : la résignation. « À force de temps partiels subis, de précarité, les gens renoncent à leur intégrité morale et parfois même physique. Ils trouvent presque normal d’être humiliés par un petit chef. Un gars de 24 ans, qui déplace des caisses, s’est pété un ménisque. Mais il voulait bien continuer à bosser en étant payé un peu plus. Le corps est devenu un objet négociable. »
Personne n’est épargné : même les cadres. « Un employé d’une entreprise de contrôle sanitaire à Gardanne a reçu une lettre d’avertissement au motif qu’il n’était pas tout le temps joignable sur son portable. C’est la grande idée du management actuel : conduire les gens à travailler sans cesse, même à domicile. » Si la durée légale du travail est encore à 35 heures, les employeurs peuvent imposer à leurs salariés qu’ils turbinent jusqu’à 48 heures. « À l’inverse, les employés ne peuvent pas exiger des heures supplémentaires. Et encore moins ceux qui sont au chômage et le resteront donc plus longtemps ! » Alors, que faire ? « Le gouvernement s’attaque au droit de grève. Les plus précaires perdent leur capacité à se défendre. On exalte la valeur travail alors qu’on est en train de le démolir. » Cours camarade ! Mais garde ton souffle car le grand soir, c’est pas pour demain…
Michel Gairaud