Le rapport boomerang
Les auteurs de ce rapport tant attendu reprochent principalement au procureur de trop communiquer avec les journalistes, et pas assez avec son procureur général. Et quand le procureur parle, c’est pour revenir à sa marotte et évoquer ses soupçons quant à l’existence, au sein même du palais, d’un réseau franc maçon. Et ce sont ces déclarations, et elles seules, qui auraient rendu irrespirable l’ambiance du palais de justice avant cela caractérisée par la bonne entente entre les magistrats et une certaine dose de gaudriole. Pourtant, les rapporteurs reconnaissent que l’on retrouve souvent les mêmes personnes dans les dossiers qui posent problèmes au procureur, et notamment le juge Renard qui ne se souvient plus quand il a rendu son tablier de franc maçon, et qui tient la véritable vedette dans ce rapport. Mais ces dossiers posent-ils vraiment problèmes, se demandent les rapporteurs qui prétendent s’en être fait une idée précise en passant 29 jours à Nice. Et la présence d’un franc maçon suffit-elle pour parler de réseau, s’interrogent-ils encore, plus judicieusement cette fois-ci. Mais au bout du compte, sur la franc maçonnerie, les avis convergent. M. de Montgolfier n’a jamais mis en cause l’appartenance à la franc maçonnerie, ni sa philosophie. Il a même été invité à une « tenue blanche », cérémonie ouverte aux non-initiés. Ce qui horripile le proc, c’est le secret maçonnique qu’il juge incompatible avec la fonction de magistrat. Les missionnaires acquiescent, et soulignent « le problème de la compatibilité entre l’appartenance d’un magistrat à un mouvement maçonnique et l’impartialité (…) à laquelle il est tenu par son serment professionnel ». Car la mission d’inspection ne croit pas à la thèse du réseau franc maçon, pas suffisamment étayée selon elle. Et elle en veut pour preuve que les décisions de justice sur lesquelles planait l’ombre de ces réseaux ont été confirmées par la cour d’appel d’Aix dont le procureur général, Gabriel Bestard, est réputé être… franc maçon. Le rapport ne retient aucune faute professionnelle contre le procureur, mais néanmoins, il doit partir. Bien plus, le rapport reconnaît que Montgolfier avait trouvé un parquet bien rayé à son arrivée, et qu’il a su amorcer son redressement. Mais Montgolfier a focalisé trop de haines autour de sa personne.
Le couple infernal
Eric de Montgolfier explique dans « le Monde » (28/06) que sa disgrâce serait due à deux informations judiciaires qu’il a récemment ouvertes, sur une accusation de viol à l’encontre de l’idole de Raffarin et sur l’affaire Vialatte. L’argument laisse sceptique, quand on sait que le rapport dort depuis l’automne dernier dans les tiroirs de la Chancellerie. A moins que Montgolfier ne considère que ce qui le vise, ce n’est pas tant le rapport que sa diffusion publique, fait exceptionnel il est vrai. Montgolfier en revanche n’évoque pas l’animosité que lui voue le maire de Nice, Me Jacques Peyrat. A la fin de l’été, ce dernier se vantait publiquement, et maladroitement, d’avoir obtenu du garde des Sceaux Dominique Perben la tête du « procureur rouge ». Lequel venait pourtant de classer sans suite une embarrassante affaire d’?uvres d’art prêtées à Hong Kong, dans laquelle était cité le nom de la fille de Mme Peyrat. La gaffe de Peyrat embarrasse Perben, qui ne peut donner l’impression de répondre positivement aux pressions d’un élu local, et se voit donc obligé de confirmer Montgolfier à son poste. Au début de l’année éclate l’affaire Vialatte (lire « le Ravi », n° 0), et M. Peyrat se découvre un amour immodéré pour sa bête noire d’hier, dont il loue maintenant les qualités et l’intégrité. Au début, ça surprend. Un peu moins quand on découvre que le maire de Nice est quelque peu gêné aux entournure avec les frasques de son secrétaire général, qu’il a pendant longtemps, trop longtemps, soutenu contre vents et marées. Peut-on imaginer qu’à l’automne dernier, après s’être fait remonter les bretelles, Peyrat ait reçu l’assurance de Perben que Montgolfier ne le gênerait guère plus longtemps, pour peu que le maire de Nice se montre patient ? Juste le temps pour l’ancien frontiste de donner l’impression de soutenir le procureur dans sa grande lessive ?
L’heure du bilan ?
Montgolfier n’est pas encore parti, mais l’on peut commencer à établir le bilan de son action, quitte à publier un codicille dans quelques années s’il venait à rester. Ça sera rapide. Dès son arrivée, Montgolfier a fait feu de tout bois et promis d’assainir la vie politique niçoise. C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle il a été nommé à Nice, le directeur de cabinet de la garde des Sceaux lui ayant dit « qu’on l’envoyait à Nice pour que cette ville ne ressemble pas à la Corse ». C’est pourtant beau la Corse, et moins bétonnée que Nice…. A partir de là, il a prétendu rouvrir tous les dossiers litigieux, et prévenu qu’il mettrait sous surveillance les élus dont les noms étaient cités dans ces dossiers. Et pour appuyer ses dires, il met au frais quelques temps Marcel Giordanengo, dit « Marcel la salade », maraîcher de son état, mais surtout franc maçon notoire et pivot incontournable de la vie politique niçoise. La prise est belle, mais ne donnera rien, ou pas grand chose. Finalement, en 4 ans, aucun élu n’a été mis en examen, et le procureur a vite été accusé de remuer beaucoup d’air pour peu de résultats, tout en produisant une quantité industrielle d’ennemis. Bien sûr, depuis peu, il y a l’affaire Vialatte, mais celle-ci lui fut fournie sur un plateau par des juges parisiens. Fort de son intelligence, indiscutable, Eric de Montgolfier a peut-être négligé de comprendre Nice. Par exemple, il aurait pu découvrir que le réseau des Pénitents noirs est probablement tout aussi influent que celui des francs maçons au sein du Palais de justice. Gilles Mortreux