Le Dragon assoupi
Une ville moyenne dans le Moyen Var. Le dragon, que la légende associe à la ville, aurait-il perdu son souffle ? La municipalité veut croire l’inverse. Une enquête tombe à point pour attester de la « séduction provençale » de la capitale de la Dracénie. Publié par Les Echos en octobre dernier, un palmarès classe Draguignan « 5ème des villes moyennes françaises les plus attractives d’ici à 2010 ». La municipalité s’est empressée de diffuser en grande quantité, et sur papier glacé, ce magnifique pronostic. « Draguignan bénéficie aujourd’hui d’une image positive qui incite à s’y installer ou à venir s’y retirer », s’est réjoui Max Piselli (1), le maire UMP, tout en faisant un aveu implicite. Le dynamisme de Draguignan est avant tout démographique : la population, avoisinant 40 000 habitants à ce jour, devrait augmenter de 20 à 30 % entre 1999 et 2030, à l’image du développement de toutes les communes de l’arrière-pays. Ce qui n’implique pas forcément un rajeunissement de la population car les nouveaux venus sont souvent de « jeunes »… retraités.
« Le risque est grand que Draguignan devienne une ville uniquement résidentielle », redoute Christian Martin. L’ancien maire socialiste, un temps un peu sonné suite à sa courte défaite, est à nouveau candidat aux prochaines municipales et sur le front pour pilonner l’adversaire. « Il faut que cette ville diversifie son activité économique et ne vive pas de sa rente de situation », poursuit le conseiller régional. Une rente ? Celle offerte par l’Etat lorsque, en 1974, la Préfecture fut transférée à Toulon avec la création de l’école d’artillerie et le maintien de services départementaux, des archives, du Conseil général, du tribunal d’instance, de la chambre d’agriculture, d’un centre de détention… Celle, plus nouvelle, due à la fameuse pression démographique. « On construit beaucoup mais sans aucune cohérence ni soucis d’offrir des logements accessibles à la population, déplore Christian Martin. Pendant un temps, les familles dracénoises étaient contentes de vendre mais maintenant, comme le prix de l’immobilier continue de s’envoler, elles ne peuvent plus acheter. Une terrible machine à exclure est en place. »
Un dossier focalise le débat politique : le réaménagement de l’ex-caserne Chabran, 13 hectares à la lisière du centre ville. La municipalité socialiste avait racheté le site à l’armée. Son objectif : réemployer la totalité du patrimoine immobilier pour y loger des locaux d’entreprises, des immeubles d’habitations. Après avoir laissé dormir le dossier durant six ans, Max Piselli a officiellement lancé l’opération « Chabran » dont les travaux devraient débuter au printemps. Racheté par la communauté d’agglomération, il est toujours question de réaliser un espace vert de 3 hectares, une médiathèque, un hôtel de police et, officiellement, 20 % de logement social. Mais près de 7000 m2 de bâtiment, pourtant en bon état, vont êtres détruits pour laisser place à un ensemble immobilier haut de gamme avec jardins résidentiels privés. Exit également de stade pour le lycée Jean Moulin et le projet de pépinière d’entreprise … « On ne construit que pour les riches, tacle Robert Bordin, président dracénois des Verts du Var. Le logement social est tabou. Un HLM a été construit par la précédente municipalité non loin du quartier populaire des Collettes où j’habite. Pendant les municipales, la droite a fait courir le bruit, pour effrayer les électeurs, que tous les cas sociaux de Fréjus allaient y débarquer. »
Ignorant les critiques, Max Piselli et son 1er adjoint, Olivier Audibert-Troin, en charge du développement économique, sont convaincus que Draguignan a retrouvé toute son attractivité. La fameuse enquête des Echos sur les villes moyennes n’a-t-elle pas classé Draguignan au deuxième rang pour « la plus forte croissance de l’emploi d’ici à 2010 » ? Mais là encore, il s’agit d’un tour de passe-passe. Le chômage s’élève à 12,5 % dans la ville, une moyenne légèrement supérieure à celle du Var. Le classement prend en compte les 1000 emplois annoncés dans le futur parc logistique des Bréguières, projet de la Communauté d’agglomération dracénoise dont l’inauguration est espérée en 2008 aux Arcs-sur-Argens. « La commercialisation est déjà pratiquement achevée avant que les premiers travaux n’aient été réalisés, se réjouit René Meissonnier, le maire des Arcs proche du PS, où doit être implanté le parc. Nous prévoyons 20 emplois à l’hectare. Je suis confiant. Ce qui nous pose soucis, c’est l’embranchement ferré dont le financement n’est pas encore acquis. » Car Draguignan, toute affairée à surfer sur la manne immobilière, mise avant tout sur son agglomération pour assurer un développement économique. « Nous avions programmé un pôle d’activité sur le terrain de Sainte Barbe pour favoriser l’emploi. Mais Max Piselli veut là aussi y construire des habitations, déplore Claude Roux, conseiller municipal socialiste. On nous dit que les gens iront bosser aux Bréguières. Reste à savoir si les logements qu’on leur propose seront compatibles avec les salaires qu’on va leur offrir.»
« Draguignan aspire à demeurer une ville bourgeoise, fidèle à son esprit feutré, où il n’y a plus personne dans les rues dès 20 heures », regrette Robert Caire, dans le petit local du parti communiste, rue de Trans. « La ville a toujours abrité une bourgeoisie de robe, tranquille, mais qui gardait une certaine liberté de pensée, souligne Jeanine Collomp, présidente de la Ligue des droits de l’homme. Draguignan a été matée, punie, sacrifiée à l’armée. On a cassé la vieille préfecture dont la réputation était trop rouge à l’époque. Elle se contente de ronronner maintenant. » Comme les volcans, les dragons assoupis sont-ils capables de se réveiller un jour avec fracas ?
Michel Gairaud
AU SOMMAIRE
Culture : Politique « cul-terreuse »
Golfs : 18 trous dans la peau
Militaires : L’armée secrète
Politique : Combats de dragonneaux
Reportage dessiné : Rue de la (résis)Trans
Transports : Un train de retard
Agglo :Paquet CADeau !