la théologie du percolateur
« Les évangiles, c’est quelque chose de révolutionnaire. » Avec sa casquette, ses cheveux blancs, son grand sourire, Pierre Castener a plus l’allure d’un loup de mer débonnaire que celle d’un bolchevick. Ancien aumônier laïque, durant une quinzaine d’années, il a ouvert en 1998 le Courant d’air, un café associatif, tout près du Vieux Port et de la mairie de Marseille. « L’Eglise a besoin de courant d’air », aurait déclaré Jean XXIII, ouvrant une fenêtre lors du concile Vatican II qui avait eu pour ambition de moderniser le catholicisme. 44 ans plus tard, et sous le règne du conservateur Benoît XVI, inutile de chercher au 45 rue Coutellerie un signe ostentatoire quelconque. Piano, lumière tamisée par de vieux volets en bois accrochés sur les murs : l’ambiance, chaleureuse, est bien celle d’un troquet où l’on aime boire et faire la fête. Pas celle d’une église. Et pourtant, dans une petite pièce juste aux côtés du bar, une salle permet de se poser au calme et de se recueillir. Mais là aussi, pas de christ agonisant sur sa croix : une simple pyramide de briques creuses fait office d’oratoire…
« En créant ce lieu, j’ai voulu que toutes les dimensions de l’homme s’y croisent, intellectuelle avec des débats, conviviale avec les concerts et les fêtes, spirituelle pour le goût du silence, de la méditation et de la prière, et politique aussi. » Le Courant d’air, qui n’ouvre qu’en soirée, est résolument un lieu laïc. Fréquenté par de nombreux athées. L’association Attac y a organisé, un temps, ses réunions mensuelles. Anars et militants trotskystes peuvent y trinquer ensemble : un véritable miracle ! Selon les soirs, la thématique change : café « poésie », café « philo », café littéraire ou café « théo » bien entendu… « Avant de changer le monde, il faut se changer soi-même. Mais le message de Jésus ne peut qu’avoir des conséquences politiques. Lorsqu’on est nourri d’Evangile, il est naturel de souhaiter transformer la société pour qu’elle soit basée sur d’autres valeurs que l’argent et le pouvoir. » Parmi les prières que cite volontiers Pierre Castener, celle du Magnificat bien entendu : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. »
Inspiré par Don Helder Camara, évêque brésilien mal vu par Jean-Paul II car trop proche des théologiens de la Libération, et du père Jean Cardonel, dominicain tonitruant qui détone dans l’église de France, il a rejoint le Parvis. Ce réseau s’est structuré, en 1999, lorsque Jacques Gaillot, alors évêque en charge du diocèse d’Evreux, fut sanctionné pour sa liberté de ton par l’Eglise de France. « Sans même parler de la hiérarchie qui y règne, des dogmes qu’elle professe, deux choses me sont insupportables dans l’Eglise catholique : le rejet des homosexuels et celui des divorcés. Le contraire de ce que préconisent les évangiles ! Mais comme j’ai passé l’âge de m’épuiser à me battre à coup de pétitions contre le Pape et ses représentants, à contester pour contester comme un gauchiste attardé, j’ai décidé de passer à autre chose. En vivant ma foi selon mes convictions et en créant ce lieu entre autre… » Sans perdre son franc parler toutefois. Le cardinal Panafieu, l’Archevêque de Marseille, et les représentants locaux de l’Eglise ? « Des tartuffes ! Des gens qui se contentent de formuler des v?ux pieux ! » Et de se lancer, comme il se doit, dans une parabole. La scène se déroule un soir de Noël, à la Joliette, lors d’une distribution de repas dans un accueil de nuit. Pierre Castener et des bénévoles s’activent. Monseigneur Panafieu, accompagné de Jean-Claude Gaudin arrivent. « Ils prononcent chacun un petit discours au micro, serrent trois pinces, puis s’éclipsent. J’ai proposé à Panafieu de m’aider à distribuer les repas mais il a décliné l’invitation. Il y en a marre des types qui ne font pas ce qu’ils disent et ne disent pas ce qu’ils font ! » Dans son café, entre bouteilles et bougies, Pierre Castener constate que les nombreux jeunes qui aiment s’y poser ne sont pas seulement non croyants pour la plupart. « Il y a aussi un athéisme de la politique. Je les incite à s’inscrire sur les listes électorales, à s’impliquer. Mais beaucoup n’y croient plus du tout. »
Michel Gairaud