La fin du cinéma indépendant ?
Souvenez-vous, au milieu des années 90, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) veut intégrer la culture dans la libre circulation des marchandises. Levée de boucliers chez les professionnels français, et notamment ceux du milieu du cinéma, qui obtient finalement une sanctuarisation de la culture par l’Union européenne. C’est la fameuse « exception culturelle française ». On parle alors de défendre l’art plutôt que l’industrie du cinéma. « Vingt ans plus tard, l’industrie a gagné en France, comme on le voit en Paca », déclare Jean-François Neplaz, le fondateur du Polygone Étoilé.
Depuis dix ans, cette salle alternative dans le 2e arrondissement de Marseille mène une expérience totale de cinéma : autour d’une salle où les projections sont gratuites, s’est constitué progressivement un collectif de cinéastes plutôt versés dans le documentaire. Grâce à une chaîne de production et de montage intégrée, ils ont pu réaliser de nombreux projets avec les habitants du quartier, en pleine mutation, ou mener leurs projets solos. Mais le plus grand coup du Polygone aura été la restauration, en 2008, de Lettre à la prison, que Marc Scialom a tourné entre Tunis et Marseille en 1969. Sélectionné dans les plus grands festivals du monde, Lettre à la prison a notamment été récompensé au Festival international du film documentaire de Marseille.
« Nous revendiquons une pratique du cinéma qui sort des sentiers battus, reconnaît Jean-François Neplaz. Jusqu’à présent, nous avons toujours été soutenus par la Région, qui a reconnu la qualité et la pertinence de notre démarche, qui a conduit notre structure à être un pôle de créativité reconnu en Europe. Mais la logique de guichet prônée par le Centre national de la cinématographie (CNC) que la Région veut, elle aussi, désormais, appliquer, remet notre existence en jeu. À Marseille, il ne doit pas seulement y avoir Plus Belle la Vie ! » Durant la « Semaine asymétrique », à la fin du mois dernier, le Polygone a rallié une cinquantaine de réalisateurs indépendants autour de cette revendication. « Le CNC impose des critères où seuls les projets achetés par une télé reçoivent de l’aide, affirme Denis Gheerbrant, réalisateur de documentaires. C’est un modèle à bout de souffle qui étouffe la création cinématographique. Les régions ne doivent pas s’aligner sur le CNC. »
À la Région, on n’est pas surpris par ce coup de gueule. « L’équipe du Polygone Étoilé est très revendicative, explique Florian Cabane, chargé des fonds liés à la production de films. Mais là, je pense qu’ils ont la mémoire courte et surtout qu’ils crient au loup pour rien. » Chiffres à l’appui, le service cinéma explique que la Région a subventionné l’équipement du Polygone à hauteur de 200 000 euros, soutenu sept documentaires et octroyé chaque année depuis 2005 40 000 euros de subvention de fonctionnement. « C’est cette enveloppe qui nous permet d’accompagner les cinéastes tout au long de l’année plutôt que de porter des projets au coup par coup, affirme Jean-François Neplaz. Si elle disparaît, la Région s’alignera définitivement sur les critères du CNC. »
Réponse de l’institution régionale : « Comme tous les services, nous devons faire une économie de 10 % sur notre budget cinéma 2011, qui s’élève à 3 millions d’euros. En contrepartie, cette année, nous avons mis en place un fonds d’aide à la création de documentaires non destinés à la télé pour un montant de près de 350 000 euros. Il est spécifiquement destiné à des structures comme le Polygone. À eux de déposer des projets. »
Stéphane