La face cachée de l’auberge espagnole
En découvrant sa nouvelle chambre universitaire du bâtiment 6 dans la cité universitaire des Gazelles, Eva Briot n’a pu réprimer un « Ouah, super. » Porte marron neuve, mobilier moderne et adapté aux petits espaces, cabine douche et sanitaire, lit neuf, couleurs fraîches aux murs et aux plafonds. On en oublie presque que le studio fait 9 m2. « C’est bien mieux que la chambre que ma sœur occupait à la fac Saint-Charles à Marseille, constate cette étudiante en première année de psycho à Aix. J’avais demandé une chambre rénovée, même si c’est un peu plus cher, mais là, je suis bluffée. »
Construite à la fin des années 50 par Fernand Pouillon, la cité universitaire des Gazelles et ses 967 chambres n’avaient jamais été touchées pendant près de 60 ans. Autant dire qu’elle était considérée, il y a peu encore comme la cité la plus pourrie de la région : murs aussi épais que des feuilles de papier, fenêtres sans double vitrage, mobilier abîmé, sanitaires communs détériorés, système électrique dépassé, couloirs tagués, espaces verts qui servent de dépotoir, sécurité inexistante avec seulement deux veilleurs de nuit pour près de 1 000 étudiants. Pour ceux qui venaient des cités de banlieue, le décor changeait à peine.
« Mobilier abîmé, sanitaires communs détériorés, couloirs tagués… »
Depuis deux ans, le Crous d’Aix-Marseille a lancé un vaste chantier de réhabilitation sur ses résidences universitaires. « Actuellement, nous avons 650 logements en travaux entre Aix et Marseille, assure Maryse Lançon, chargée de mission hébergement au Crous. Aux Gazelles, nous avons déjà réhabilité la moitié des chambres en y intégrant les sanitaires, qui était la principale demande des étudiants. 84 chambres devraient être livrées en février. Nous espérons terminer les travaux pour la rentrée 2010. »
À 18 000 euros le coût de la rénovation par chambre, les travaux entraînent une augmentation des loyers substantiels. « La chambre rénovée est à 232 Euros contre 149 pour les anciennes, précise Carole Laborda, la directrice de la cité des Gazelles. Mais l’allocation pour les étudiants est passée de 50 à 100 Euros. L’augmentation réelle de 50 euros est facilement acceptée par les étudiants d’autant qu’ils sont tous boursiers (420 euros par mois en moyenne). Il leur reste donc 370 Euros pour vivre, ce qui est bien peu pour un mois. » Mais ils ne sont pas les plus mal lotis. Car les résidences universitaires sont construites à côté des facs et disposent souvent d’un restaurant. Malheur donc à ceux qui n’obtiennent pas de bourse à la fac. Il faut alors trouver un logement en ville « où les prix montent facilement à 400, 500 Euros par mois pour une chambre de bonne avec les sanitaires sur le palier », affirme Carole Laborda. À cela s’ajoute le coût des transports en commun et de la nourriture.
Il arrive également que des étudiants boursiers ne trouvent pas de chambre. C’est le cas de Moussa. Originaire de l’Est de la France, il a débarqué à Marseille une semaine avant la reprise des cours. « Je suis inscrit en philo à Aix et ils m’ont donné une chambre à Luminy ! Depuis une semaine, je vais tous les jours au guichet de la cité des Gazelles pour obtenir une chambre. On me répond qu’il n’y en a plus et qu’il faut revenir encore et encore au cas où une chambre se libèrerait. Pendant ce temps-là, je squatte chez les uns et les autres. » À côté de lui, une jeune Espagnole attend avec ses parents et obtient rapidement ses clés. Car à la cité des Gazelles, sur 967 chambres, 300 sont réservés aux étudiants venant de l’étranger. Moussa la regarde d’un air dépité. « Je trouve génial d’accueillir les étudiants des autres pays dans les résidences universitaires, mais quand on n’arrive pas à loger ses propres étudiants, est-ce que ce n’est pas un luxe déplacé ? »
Stéphane Sarpaux