L’UMP colonise l’extrême droite
« Écoute, c’est toute l’histoire de Papy », murmure une jeune mère à son fils. Nous sommes le samedi 27 mars 2010, il est 15 heures. Dans la grande salle du Pasino d’Aix-en-Provence, le spectacle gratuit « La mémoire qui saigne » vient de commencer. Dans l’obscurité, une voix caverneuse résonne. Celle de Jean-Pax Méfret, jadis plus jeune détenu des combattants de l’Algérie française. Ancien journaliste (Minute, le Figaro Magazine) et auteur d’une biographie de Jean Bastien-Thiry, le chanteur culte de l’extrême droite, édité chez « France Productions », lance le spectacle : « Écoutez… La colère du pied-noir ! ». Plus de 800 personnes applaudissent. Une de ses fans est assise au premier rang. Elle, qui avait déjà fait de Jean-Pax Méfret un « citoyen d’honneur de la mairie d’Aix-en-Provence ». Maryse Joissains.
Sur scène, il y a des instruments. Mais surtout, un pupitre de meeting électoral derrière lequel se succèderont le barde patriotard, l’acteur Robert Castel, ainsi que le scénariste et écrivain Raphaël Delpard, déjà primé pour un de ses livres par une officine du Front national, le Comité Veritas (1). En trois heures de show, Méfret ne chante que trois chansons, mais s’exprime plus d’une heure. Haranguant la foule, il récite le credo des « nostalgériques », puis évoque, par des mots crus et sanguinolents, « les martyrs de l’Algérie française ». Le président de la fédération des rapatriés aixois, René Andrès, s’en excusera d’ailleurs à la fin du spectacle « auprès des âmes sensibles. Mais c’est l’histoire. C’est ce qui s’est passé ». Les trois intervenants, par l’humour ou la solennité, revisiteront en cinq chapitres la guerre d’Algérie pour conspuer les « fellouzes » du FLN et « ces gaullistes qui ont trahi ». Delpard proclamera même : « Je les maudis. » En filigrane, l’Organisation Armée Secrète (OAS) s’insère dans la rhétorique du spectacle et apparaît telle une réponse appropriée à l’histoire. L’exposé de Jean-Pax Méfret s’entrecoupe d’enregistrements sonores réalisés lors de ses enquêtes au Figaro Magazine, ou d’extraits de Radio Courtoisie, la petite F.M. nationaliste qui tire des salves d’ondes depuis le XVIe arrondissement de Paris. Bientôt, l’obscénité culmine. Le télé-évangéliste pied-noir diffuse à plein volume une minute insoutenable d’enregistrement de la fusillade de la rue d’Isly. Entre des tirs de mitrailleuses tonitruantes, on entend des voix hurler « Halte au feu ! ». Dans la salle, les visages se crispent. La lobotomie s’opère.
« Une campagne de dénigrement »
La fusillade ou « manifestation du 26 mars 1962 » répondait, après le cessez-le-feu des accords d’Évian, à un mot d’ordre insurrectionnel de l’OAS. Des manifestants y furent tués. Les noms de ces morts ont déjà été gravés sur le socle d’une immense statue de Notre-Dame d’Afrique érigée à Théoule-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Mais, pour Hubert Falco, secrétaire d’État aux Anciens combattants, deux tiens valent mieux qu’un, tu l’avais déjà. Le maire de Toulon a décidé de faire inscrire, sur le Mémorial du quai Branly à Paris, 49 noms de manifestants tués le 26 mars… aux côtés des noms de « Morts pour la France ». Provoquant ainsi l’ire de la Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (FNACA). Dans un récent communiqué, la FNACA « déplore que le gouvernement ait imposé cet hommage national aux victimes civiles d’une manifestation interdite, organisée à l’instigation de l’OAS, organisation subversive qui s’opposait alors par les armes aux institutions de la République ». La FNACA a d’ailleurs bien compris d’où venait la revendication, puisqu’elle « exige que ces milieux extrémistes, résurgences d’un passé révolu, cessent leur campagne de dénigrement et d’hostilité à l’égard de la commémoration du cessez-le-feu du 19 mars 1962 ». Malgré cette prise de position de la plus importante association républicaine d’anciens combattants en Algérie, Hubert Falco est resté ferme. Cela, afin de réhabiliter une mémoire chère à l’OAS, dont les anciens sont aujourd’hui rassemblés au sein de l’ADIMAD (voir le Ravi no 22, no 55 et no 58).
« Vive le Pen ! »
« Cette émouvante évocation, c’est à Maryse Joissains que nous la devons », conclut René Andrès depuis le Pasino. « Maryse », très chaleureusement remerciée, est ensuite… invitée à monter sur scène. Galvanisée par la transe révisionniste, elle prend la parole et fulmine. « Ce qui me choque, c’est la lâcheté de nos dirigeants (applaudissements). Cette lâcheté ne s’arrête pas. Elle continue. Quand on fait de la repentance toute la journée, des génuflexions toute la journée, quand on renie ce qu’est la France. Quand on s’apitoie sur des gens qui salissent notre drapeau, qui hurlent quand on joue notre hymne, qui ne respectent pas nos valeurs. Alors, je dis à tous ceux-là (à cet instant, quelqu’un crie “Vive Le Pen !” et des rires fusent) : il y a dans ce pays des Français qui n’acceptent pas, qui n’acceptent plus. Une nouvelle génération est en train de se lever, celle de ceux qui savent dire “Non”. Et vous en faites partie. » La maire d’Aix prendra également le temps de faire huer la FNACA. Dix jours plus tard, la seule formation politique à réagir sera le Nouveau Parti Anticapitaliste, organisateur le 12 avril dernier d’un rassemblement d’indignation devant la mairie. Qu’importe, Jean-Pax Méfret l’a dit sur un air de triomphe : « C’est sans doute la première fois en France que l’on a pu parler de tout ça. »
Quoi qu’il en soit, grâce à Christian Estrosi, ce ne sera peut-être pas la dernière. Car la mairie de Nice s’apprête à organiser « Harkis et pieds-noirs, un même cœur », les 5 et 6 juin 2010, dans les Jardins des Arènes de Cimiez. Jean-François Gavoury, président de l’Association Nationale pour la Protection de la Mémoire des Victimes de l’OAS (ANPROMEVO), a consulté la liste des intervenants de l’événement. Pour lui, c’est évident : « Il s’agit là d’une manifestation nostalgérique de plus, entrant dans le cadre du mouvement de réhabilitation de l’OAS. Parmi les participants de choix, figurent Bernard Coll, de “Jeune Pied-Noir” ainsi qu’un intervenant habituel du site Internet “Notre Journal”, Lionel Vivès. Cet enseignant s’est illustré dans l’affaire de Boulogne sur Gesse, où il est parvenu, en mars 2009, à faire annuler une exposition de la FNACA sur la guerre d’Algérie. Il participe également à des échanges sur l’odieuse page de Facebook sur l’OAS. » Sur le plan mémoriel, des cadres de l’UMP sont donc désormais décidés à se mettre au niveau du Front national. Il ne semble pas s’agir de celui de la pacification des mémoires, mais bien d’un refoulement de caniveau, où ruissellent bave et sang caillé pétris de revanche. Mais cinquante ans après, quelle revanche ?
(1) La mort de son ancien président, Joseph Hattab Pacha, a d’ailleurs été honorée d’un faire-part dans National 13, le bulletin interne du Front national des Bouches-du-Rhône.
Un livre pour aller plus loin
Les éditions La Découverte viennent de republier en poche un essai collectif de 2008 dirigé par Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson, La guerre des mémoires. Le phénomène y est analysé par 25 historiens de référence afin d’en aborder les différentes composantes : champs de bataille (différentes séquences historiques), hommes (historiens, journalistes, militants, politiques, artistes) et armes (transmission et médiatisation par les livres, films, écoles, musées, commémorations). S’il ne se cantonne pas à la guerre d’Algérie, l’ouvrage ouvre cependant très largement sa focale sur ce conflit actuel et virulent. Indispensable pour comprendre les enjeux présents et cette histoire de l’Histoire.
Par Jean-Baptiste Malet