L’humour, l’arme fatale…
Ils ont eu droit au JT de TF1 et à une belle photo du Journal du Dimanche. Normal quand on s’appelle Carla et Nicolas Sarkozy. Sauf que là, c’était des masques portés par des intermittents du spectacle, juchés à l’arrière d’une décapotable, entourés de gardes du corps de Wall Street fumant des cigares et de médias enchaînés. Derrière eux, d’autres masques : les membres du gouvernement Fillon et, plus en arrière encore, des moutons symbolisant le peuple français. Le 29 janvier, lors de la première grande manifestation unitaire marseillaise en 2009, on n’a vu qu’eux : des intermittents du spectacle à l’initiative de ce carnaval politique.
« En décembre dernier, nous étions quelques dizaines, sous la pluie, à manifester en face des locaux marseillais du Medef où se déroulait une nouvelle négociation sur la réforme des annexes 8 et 10 visant une fois de plus à durcir les procédures pour accéder au statut d’intermittent, se souvient Perrine de la compagnie Sud Side. Et là, d’un coup, je me suis dit : » ça n’est plus possible, il faut qu’on invente d’autres formes de contestation « . » Un mois plus tard, Perrine se retrouve la tête dans une télé en carton, enchaînée à la voiture présidentielle dans ce qui ressemble bien à un spectacle. « L’idée est de sortir des « Tous ensemble, tous ensemble » pour faire réagir la population. Nous voulons montrer par le pastiche ce que nous pensons de la politique de Sarkozy : du spectacle, des médias à la botte, un gouvernement réactionnaire. Et tout cela n’est possible qu’à condition que les Français se comportent comme des moutons… »
« Nous ne nous retrouvons pas dans les structures traditionnelles, les partis ou les syndicats »
Le 29 janvier, à Nantes, Lyon, Toulouse le même pastiche était à l’œuvre. Car le défilé marseillais a, en fait, été scénarisé par un collectif nantais au doux nom de choucroute garnie. C’est la brigade opérationnelle utopiste marseillaise (le Boum) qui a fait le relais jusqu’aux compagnies des arts de la rue. « Nous existons depuis 4 ans autour d’un constat simple, explique le photographe Vincent Lucas, membre du collectif. Nous ne nous retrouvons pas dans les structures traditionnelles, que ce soit les partis ou les syndicats. Nous sommes simplement des citoyens actifs, pas des professionnels de la revendication. » Le Boum relaye également à Marseille la chorale des mille colombes créée par l’humoriste Christophe Alévèque (Cf notre reportage dessiné, le Ravi n°59). « Nous serons devant l’Opéra le 6 mai pour commémorer les 2 ans de la fête de la Concorde où Sarkozy a été célébré par Mireille Mathieu et Enrico Macias », poursuit Vincent Lucas.
Pour les arts de la rue, cette forme de contestation par l’humour est un peu un retour aux sources. Créés en réaction au « théâtre bourgeois payant », ils sont parfois guettés aujourd’hui par une certaine institutionnalisation. Marseille Provence 2013 « capitale européenne de la culture », mise d’ailleurs sur quatre défilés monstres pour remplir son quota « fête populaire ». Sarkozy et la crise économique arrivent à point nommé pour réveiller chez une partie des saltimbanques des velléités de contestation qui dépassent largement, pour une fois, leur corporation. « C’est dur de mobiliser les artistes dans le temps, avoue Perrine. C’est quand même un monde fortement individuel ». Avec le Boum, elle devait défiler à nouveau dans le cortège du 1er mai à Marseille. Une fois encore la Choucroute garnie de Nantes livre sur un plateau le scénario : un Sarkozy enfermé dans une cage dorée, protégé par une armée de patrons de la world compagnie sur lesquels on peut balancer des chaussures. Mais en raison d’un trop grand nombre d’absents, la choucroute marseillaise a été reportée à une date ultérieure. Militer, oui, mais d’abord profiter du week-end du 1er mai !
Jean Tonnerre