Jean-Charles Marchiani, ancien préfet du Var.
Appelez-moi Sauveur ! Ma mère aurait dû m’appeler Sauveur. Sauveur Marchiani, ça sonne. Elle a préféré Jean-Charles. Je lui jette pas la pierre, j’ai appelé mes fils Charles-Stéphane et Jean-Alexandre. Sauver a toujours été mon métier. Et voilà qu’on fait chuter l’ange : incarcéré à la Santé depuis le 26 mai dernier. C’est là que j’attendrai mes prochains procès et peut-être la grâce du Petit Président. Purée ! A Hollywood, on aurait fait un film avec mon histoire, genre SAS, OSS 117 ou James Bond, la sulfateuse à main droite et une blonde à main gauche, arrosant les barbus pour libérer des otages innocents. Innocent, voilà encore un prénom que ma mère, cette sainte femme, aurait pu me donner. D’ailleurs, si j’avais continué le petit séminaire d’Ajaccio, j’aurais été le premier pape corse. Le blanc me va si bien. Cela me colle au destin, l’innocence et la pureté de l’ange. Ce n’est pas moi qui le dit, attention, les anciens otages du Liban se sont fendus d’une tribune libre dans Le Monde pour appeler Nicolas Sarkozy à me gracier (1). « Depuis vingt ans que nous fréquentons notre sauveur, nous avons appris à le connaître. Nous l’estimons, c’est un homme courageux et fidèle. » Franchement, la prison, j’ aime pas. J’y ai déjà goûté hein, en 2003, et avant dans les années 80, et ça ne me réussit pas. Je deviens bavard. Et Si Sarkozy ne fait rien, j’y vais pour longtemps en zonzon. Il réfléchit. Me gracier, ça colle pas trop avec la rupture, la loi contre la récidive et tout le toutim. Côté positif, cela ferait bien ch… – non, ma mère n’aimait pas quand je jurais – rager, l’autre grand figatelli mal dépendu de Chirac, lui qui m’a lâché en disant que mon rôle de sauveur, c’était du « bidon » (2). « Je n’ai cessé de dire à Pasqua qu’il n’était pas fréquentable et qu’il racontait des bobards. » Il devrait faire attention, Charlie et moi, on a gardé quelques dossiers sous le coude. On peut encore lui pourrir la retraite, au grand Jacques. Et dire que je me suis mis au service de la France à peine sorti de l’IEP d’Aix. Espion, c’était mon rêve. Déjà au lycée Thiers à Marseille et plus tard à la fac de droit, on sortait faire des expéditions punitives contre les gros bras du bolchevisme syndical ou les suppôts du FLN. Alors, forcément, quand on travaille dans l’ombre, on se perd parfois dans l’obscurité. Dans les années 70, y’en a qui sont allés raconter que j’avais trafiqué des photos qui mettaient à mal Madame Pompidou (3) ou encore que j’aurais un peu dealé de la blanche pour financer les activités en eaux profondes de La Piscine (4). Mais tout ça, c’est la bave du crapaud. Non, je reconnais que j’étais avec Charlie dans l’histoire du Sac, mais c’était juste pour soutenir vigoureusement la pensée gaulliste. J’ai le sens du dialogue avec l’ennemi. D’ailleurs, c’est comme ça que je me suis retrouvé chargé des affaires syndicales chez Peugeot. Après, je me suis mis dans l’aviation et l’industrie militaire, Servair, Air France et Thomson. Depuis mon passage chez les paras, j’ai toujours aimé les avions. Mon grand truc, c’est le baroud, l’odeur de la poudre, le flingo extra-plat au poing : les pilotes français en Bosnie, les moines de Tibérine en Algérie (petit raté), mais surtout les otages du Liban à la veille de la présidentielle en 88. Enfin la lumière, le premier rôle ! Bon, Chirac a perdu, mais on a tout fait pour qu’il prenne le château. Ensuite, j’ai continué mes boulots d’espion au noir. C’est un truc que je garde de mes parents, cet esprit de service. A Bastia, c’est moi qui allait faire le marché. Alors oui, parfois je gardais l’argent des commissions pour m’acheter des bonbons. J’ai peut-être conservé l’habitude, mais c’est un peu court pour m’envoyer en prison. Quand est arrivée la deuxième cohabitation, j’ai vraiment rêvé que Charlie, enfin ministre de la Défense, me nomme à la tête de la DGSE. Mais il a encore eu l’Intérieur. Du coup, j’ai eu le titre de préfet et quand Chirac est enfin arrivé au pouvoir, j’ai repris du service d’active en servant de contrefeu républicain au FN à Toulon. Mais là aussi, Chirac m’a lâché. « J’ai eu un grand tort dans ma vie. Un jour, Pasqua m’a demandé comme un service personnel de nommer Marchiani préfet du Var. Je me suis laissé faire, et je le regrette. (5) » Peuh ! On me reproche mon zèle contre les cultureux de Châteauvallon, l’interdiction du concert de NTM… Alors que tout ça, c’était pour toi, maman. « En tant que représentant de l’Etat, en tant que chrétien et en tant qu’homme, je ne peux laisser passer une telle atteinte à la dignité de la femme et de la mère de famille. (6) » Rien de choquant, non ? Alors il a fallu rentrer dans le rang, pantoufler au ministère. D’ennui, je me suis lancé dans la politique sur le porte-bagages souverainiste de Pasqua. Député européen, ça m’allait bien, l’immunité, les voyages… J’ai bossé, faut pas croire. Mais la pensée unique de droite voulait notre peau et ils ont commencé à ressortir l’argent des commissions : Elf au Congo, Aéroport de Paris, les chars Leclerc, et la vente des armes à l’Angola avec mon ami Falcone. Autant de coups où j’ai oeuvré pour la France. Même si parfois ça transitait un peu sur mes douze comptes. Depuis 2004, les condamnations tombent. Un an, trois ans ferme… A l’automne, le procès de l’Angolagate devrait alourdir la facture. Heureusement, Sarkozy est passé voir Dos Santos en Angola. J’espère qu’il aura glissé un mot sur mon compte. Une petite signature au bas de ma demande de grâce et je retourne à mon costume d’ombre et de lumière. Et promis, dans six mois, je ramène Ingrid.
Ben Huit
(1) « Il faut gracier Jean-Charles Marchiani, Libérateur d’otages », Le Monde du 9 mai 2008
(2) L’inconnu de l’Elysée, Pierre Péan, Fayard, 2007.
(3) Marchiani, le roman de l’aventurier, Gilles Suchey, Cuverville.org
(4) Surnom de la DGSE.
(5) Ibidem.
(6) Lettre au président du TNDI de Châteauvallon.