Jacques Peyrat, le candide amer
Chaque printemps, la corruption fleurit à Nice. Il y a deux ans, c’était Michel Vialatte, alors directeur général des services à la mairie et à la communauté d’agglomération (CANCA), qui tombait pour avoir voulu prélever sa dîme sur le marché de maîtrise d’ouvrage du nouveau stade. Et cette année, c’est Dominique Monleau, le Monsieur tramway de la municipalité, qui chute à son tour. Il aurait réclamé 180 000 euros à Thales Engenering & consulting pour lui permettre d’obtenir le marché de la maîtrise d’?uvre du tramway.
Pourtant, à l’issue de l’affaire Vialatte, le sénateur-maire de Nice Jacques Peyrat avait prétendu, dans une formule empreinte de poésie, avoir « raclé la corruption jusqu’à l’os ». Il s’était même fait aider de la Chambre régionale des comptes et avait commandé en sus une « mission d’évaluation du coût des équipements publics ». Deux rapports avaient donc été publiés, que visiblement le maire n’a pas lus. Il aurait dû. Celui de la Chambre régionale des comptes par exemple s’étonnait déjà des modalités d’attribution du marché de la maîtrise d’?uvre du tramway. Il avait été attribué une première fois à l’entreprise Semaly en novembre 2001 par le conseil municipal, pour un montant de 12,745 millions d’euros TTC, la Commission d’appel d’offres de la Ville écrivant que « sa compréhension du projet et sa bonne perception des risques potentiels démontrent la capacité de SEMALY à gérer la réalisation de l’opération pour le lot infra et la coordination générale de l’ensemble de la maîtrise d’?uvre ». Pourquoi alors, s’étonne la Chambre régionale des comptes, revenir sur cette décision un mois plus tard, pour confier l’attribution de ce marché à la communauté d’agglomération ? Certes, c’est la CANCA qui est appelée à financer le tramway, mais elle aurait très bien pu reprendre les choses en l’état. Résultat des courses, le marché sera attribué à Thales pour 14,36 millions d’euros, dont 180 000 euros de pot-de-vin.
Faux naïf ou vrai crétin ?
Aujourd’hui, Peyrat fait l’étonné et s’affirme trahi par des « Judas ». Mais même si sa culpabilité n’est pas encore mise en cause, sa responsabilité est entière. Peyrat est responsable en tant que maire tout d’abord, mais surtout, parce que c’est lui qui a mis en place les conditions de l’opacité de l’actuel système de marchés publics, et parce que c’est lui qui, non seulement a choisi ses Judas, mais les a soutenus contre vents et marées.
Dans la commission d’appel d’offres de la Ville siège une élue d’opposition, c’est elle qui avait tiré la sonnette d’alarme sur les conditions d’attribution du marché public du nouveau stade. Mais à la Canca ne siège aucun élu d’opposition, et a fortiori dans sa commission d’appel d’offres. Les principes républicains, sinon la loi, auraient dû inciter le maire de Nice et président de la communauté d’agglomération à proposer à un élu de son opposition municipale un siège au sein de la Canca et de sa commission d’appel d’offres. Certes, à défaut d’opposition, un représentant de la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF) doit normalement assister, avec voix consultative, aux réunions de cette commission. Mais M. Peyrat a tout fait pour l’évincer, allant jusqu’à évoquer publiquement, lors d’une question écrite au Sénat, « l’absence d’équité dont ferait preuve cette administration ». La pression a été telle que le fonctionnaire de la DDCCRF qui suivait les marchés publics est parti et n’a jamais été remplacé.
Sans élu d’opposition ni représentant de l’Etat, la commission d’appel d’offres de la Canca échappe donc à tout contrôle, et on voit bien alors l’intérêt qu’il y avait à lui transférer l’attribution de certains marchés publics, dont celui de la maîtrise d’?uvre du tramway. Mais le maire de Nice ne se contente pas de créer les conditions de l’opacité, il sait également s’entourer de personnes dont il ne peut pourtant ignorer la moralité douteuse. On a déjà raconté (1) comment Peyrat avait délibérément menti pour protéger Michel Vialatte de l’accusation de prise illégale d’intérêt, niant contre les faits que son directeur général des services avait négocié la vente d’un terrain municipal à Saint Maclou avant d’en devenir le directeur. De même, l’honnêteté de Dominique Monleau, que Peyrat a reconduit dans son équipe aux dernières élections, était depuis longtemps sujette à caution en mairie, où l’élu était surnommé « Monsieur 5% », lointain écho au surnom de Jacques Médecin, « Monsieur 10% sur les chiottes » (2). Pourtant, Jacques Peyrat lui a maintenu sa confiance, comme il a longtemps maintenu sa confiance à Michel Vialatte. Tant d’aveuglement confine à la bêtise, ou à la malhonnêteté. L’enquête le déterminera.
Gilles Mortreux
(1) Le Ravi n° 9 (2) Jacques Médecin était soupçonné de prélever 10% sur chaque toilette Decaud vendu aux Etats-Unis. Cf. B. Bragard, F. Gilbert, C. Sinet. Jacques Médecin, le feuilleton niçois. La Découverte. 1990. p. 90-91.