Iter, l’énergie des étoiles… filantes
« J’ai tellement visité Cadarache que je pourrais servir de guide quand j’arrêterai la politique… Et puis je dois dire que plus je viens, moins je comprends. De toute façon, ce n’est pas de sitôt. » Michel Vauzelle arbore un large sourire de circonstance. Nous sommes le jeudi 30 juin, il y a quelques jours à peine, la France vient de remporter de haute main la négociation internationale sur l’implantation du futur réacteur expérimental thermonucléaire. Iter sera construit à Cadarache au nord des Bouches-du-Rhône, aux confins du Vaucluse, du Var et des Alpes-de-Haute-Provence. Avec le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, celle d’Aix, Maryse Joissains et le président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guerini, ils marquent à la culotte Jacques Chirac, venu féliciter sur site les employés du Centre d’essais atomiques de Cadarache.
Après d’âpres et longues négociations, c’est donc la région Paca qui doit accueillir le futur soleil artificiel. Jacques Chirac fronce les sourcils, les traits tirés. La défaite du référendum sur la constitution est encore toute fraîche. Et puis surtout, il ne comprend visiblement absolument rien de ce que lui raconte le spécialiste de la fusion qui lui détaille le mécanisme des futures installations. Peu lui chaut, l’essentiel est la victoire. D’ailleurs, quelle que soit la couleur politique, les élus de tous rangs qui se pressent à ses côtés partagent ce sentiment de triomphe international face à la candidature japonaise. Kyoshi Ando, chef du bureau parisien du quotidien économique nippon Nikkei, qui fait partie de la cohorte de journalistes convoqués pour l’occasion ne semble pas pour autant fort marri par la défaite de son pays. « Le Japon a très bien négocié, dit-il dans un français haché. Le centre d’études scientifiques qu’il a obtenu est indispensable à la réussite d’Iter. Au Japon, cela va créer beaucoup d’emplois. » Monsieur Ando n’est donc pas là pour célébrer la victoire française. Une question le taraude qu’il réussit enfin à poser au préfet Frémont au milieu d’une meute de journalistes. : « comment les scientifiques internationaux vont être accueillis par les habitants de cette région qui n’aiment pas les étrangers ? » Blanc.
Le préfet bafouille une vigoureuse dénégation. Il a vraiment d’autres chats à fouetter que de rassurer un journaliste japonais sur les attendus xénophobes des Provençaux. En effet, Christian Frémont a l’imposant privilège de diriger le comité de pilotage du projet Iter. Du logement au transport, en passant par l’école internationale et les équipements socio-culturels, il doit préparer la région à l’accueil de cet immense chantier. La tâche est lourde. Un chiffre d’affaires évalué à un milliard d’euros, une école internationale à mettre sur pied, 1000 logements à trouver dans toute la région pour satisfaire les scientifiques invités, des emplois pour des conjoints, une offre socioculturelle de bon niveau, des équipements pour leurs enfants, des réseaux de transport rapides et fiables… Vaste chantier. Il l’a initié en décembre dernier lorsque l’Europe et ses alliés avaient décidé de partir seuls dans ce vaste projet en se passant de l’apport japonais. Las, les négociations se sont tout de même poursuivies et le comité de pilotage a attendu son tour.
« Comment les scientifiques internationaux vont être accueillis par les habitants de cette région qui n’aiment pas les étrangers ? »
Kyoshi Ando, journaliste japonais au Nikkei
Mais déjà, à cette époque, de copieuses fissures avaient vu le jour dans l’unanimité apparente des élus locaux. A peine le comité de pilotage mis sur pied, Maryse Joissains avait lancé avec 110 élus du secteur l’association « Réussir Iter ». Son but : éviter que l’Etat jacobin n’impose son diktat dans l’aménagement du territoire. « Le Pays d’Aix n’a pas vocation à accueillir toutes les nuisances d’Iter », avait alors déclaré le maire d’Aix-en-Provence. Dans la mire de son viseur : l’accueil des futurs salariés d’Iter et le sujet corsé du logement. En effet, le marché immobilier sur l’ensemble du secteur a viré depuis longtemps au rouge carmin et Maryse Joissains entend assurer la tranquillité de tous ceux qui résident dans sa communauté d’agglomération : pas un habitant de plus dans les dix prochaines années semble être le credo auquel elle s’accroche.
Or, le Val de Durance est tout autant saturé et personne ne veut d’un village Iter qui concentrerait l’ensemble des salariés. D’ailleurs, ceux-ci ont déjà pas mal d’exigences. Ce sont des CSP ++ (« catégories sociales supérieures ») qui se verraient bien habiter la région de Saint-Tropez ou l’arrière-pays cannois. Des endroits où le marché immobilier est entièrement dévolu aux oligarques russes et autres stars de la jet set. Or, le comité de pilotage ne dispose pas réellement d’un instrument fiable pour gérer cette question du foncier disponible. En effet, l’Etablissement public foncier régional (EPFR) a à peine eu le temps d’anticiper la victoire européenne qu’il se grippait salement pour d’obscurs motifs politiques. Les présidents des conseils généraux des Bouches-du-Rhône et des Alpes-Maritimes ont quitté l’établissement l’été dernier pour ne plus y revenir. Ils n’entendent pas se faire dicter leur politique foncière par un organisme dont la Région serait le pilote. Ils ont donc l’intention de créer leur propre structure foncière avec leur budget propre.
L’azuréen Christian Estrosi est devenu ministre de l’Aménagement du territoire et le sujet n’est toujours pas tranché. Or, faute d’outil adapté, il n’y aura pas de politique foncière adaptée à l’arrivée des salariés d’Iter. En visite en juillet dernier pour (re)lancer le comité de pilotage, le nouveau ministre a laissé planer le doute sur la nature du futur outil foncier, arguant même qu’une multiplication des Etablissements publics serait financièrement profitable. Si l’argument tient du point de vue de l’arithmétique, il tient moins sur le plan politique. En effet, on voit mal comment le préfet pourrait piloter plusieurs établissements fonciers gérés par des entités politiques différentes. Grand prince, Christian Estrosi a tout de même annoncé que le Conseil général des Alpes-Maritimes verserait son obole au projet. « Tous les euros sont bienvenus, a rétorqué alors Jean-Noël Guerini, son collègue bucco-rhodanien. Mais ça m’étonnerait que votre subvention n’atteigne les 152 millions que verse mon département. »
En effet, ce vaste projet international sollicite étonnamment les collectivités locales. 152 millions chacun pour le Conseil général des Bouches-du-Rhône et le Conseil régional. Jacques Chirac n’a pas manqué, d’ailleurs, de chaleureusement remercier Michel Vauzelle. Le grand point d’inquiétude des deux présidents mis à contribution reste cette question budgétaire. L’Etat est resté flou sur la manière dont allait être dépensées ces grosses enveloppes. Du côté du CG 13, on s’inquiète de voir ces sommes entièrement reversées au budget général d’Iter, tandis que les collectivités seraient à nouveau sollicitées sur leur budget propre pour des dépenses correspondant à leurs compétences. « On nous parle de routes à financer à l’intérieur même du site de Cadarache… Ce n’est pas franchement notre vocation », affirme-t-on en « off » au Conseil général. Même son de cloche dubitatif du côté du Conseil régional concernant le financement de la future école internationale et à propos des transports régionaux. Michel Vauzelle et Sylvie Andrieux ont même imaginé une taxe spéciale destinée à financer une vraie desserte du site. Une idée peu appréciée par leur collègue socialiste, Jean-Noël Guerini, qui refuse par principe tout impôt supplémentaire. Comme le torchon brûle salement entre les socialistes du département, il ne faut pas espérer un front uni – même dans l’opposition.
Sujet d’inquiétude connexe, certains élus craignent que les sommes englouties ne se traduisent pas en emplois créés par le grand projet. En effet, la majeure partie des salariés d’Iter seront des scientifiques internationaux qui débarqueront avec armes et bagages. Pour les emplois induits, les mêmes craintes s’expriment. Les entreprises sollicitées dans le futur relèvent de secteurs très pointus, loin, très loin du tissu de petites PME de la région. Le 17 octobre prochain, la Chambre de commerce et d’industrie organisera des « Rencontres économiques d’Iter » pour informer les patrons sur le contenu réel du projet Iter et les éventuelles retombées économiques pour la région. Les seuls emplois sur lesquels on peut parier de façon certaine relèvent du secteur immobilier puisqu’un millier de logements doivent être construits d’ici dix ans. On est quand même loin des 3000 emplois indirects promis par l’Etat. Ils concernent l’ensemble du territoire national. L’apport direct pour la Région pourrait se limiter à la création de 1300 postes.
Gilles Bribot