Henri Proglio, PDG de Veolia
Siège en eaux troubles
« I’m singing in ze raïnnn, just singing in ze raïnnn. Papalapa papalapalapa… » Ah, l’eau de pluie, bienfait gratuit, profitez, profitez, ça ne va pas durer, vous verrez, on finira par réussir à mettre un compteur là aussi, en attendant de mettre l’air à l’amende. Un marché plein d’avenir pour Veolia, dont je suis le PDG. Vous ne me connaissez pas ? Henri Proglio ! Non ? Eh bien, tant mieux, je fais tout pour passer inaperçu. Profil bas, je regarde le bout de mes chaussures cousues goodyear quand je cause, j’ai refusé de figurer dans le Who’s Who, et je n’ai pas eu de chauffeur avant 2003, la parano de l’espionnite. J’affectais même de venir au boulot en conduisant une petite française… avec des grosses allemandes dans le garage à la maison, il est vrai. Vivons friqués, vivons cachés, telle est ma devise, fidèle en cela à l’héritage de la Générale des Eaux. Je suis tout le contraire de ce mytho de Messier, de son show permanent et de ses délires sur la « transparence ». Lorsqu’il s’est ramassé la gueule, c’est moi qui ai récupéré les métiers « historiques » de Vivendi, tandis que Vivendi-Universal était dépecé. On a à nouveau changé de nom, histoire de se refaire une virginité, comme une vieille pute liftée. La discrétion, secret de la longévité (depuis 32 ans à la Générale !), je l’ai apprise durant mon enfance. Je suis né à Saint-Laurent du Var, et mes parents étaient épiciers à Antibes. C’est là que j’ai également appris qu’un sou est un sou, en bossant à la boutique pendant les vacances scolaires. Après j’ai fait HEC, c’est là que j’ai appris qu’un milliard est un milliard, donc rien du tout, à l’épicerie, j’avais déjà tout compris. En revanche, ça m’a permis de commencer à me faire un carnet d’adresses, même promo que DSK, pour lequel j’ai témoigné favorablement dans l’affaire de la MNEF. Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde…. Pour mon service militaire, j’ai demandé à être affecté dans un service secret (eh oui !) de la Marine. Pas de problème, vu que j’étais présentable politiquement, pas un de ces gauchistes. A cette époque-là, je fréquentais l’extrême-droite au sein du groupe Occident, d’où viennent les très respectables Longuet, Madelin, et Devedjian…On m’a reproché aussi d’avoir côtoyé Mégret, Blot et Le Gallou, mais c’était « quand ils étaient encore au RPR et aujourd’hui diabolisés ». (1) La politique, ça m’amuse beaucoup, tous ces va-et-vient… A la fin, ils finissent tous par signer un contrat avec la Générale, pardon, Veolia, où je suis rentré par une petite annonce comme stagiaire. J’ai fait mon trou, toujours dévoué auprès de « Guytounet » (2), me portant systématiquement volontaire pour résoudre les situations délicates. Comme l’a dit le Canard, qui m’a surnommé « l’as du cash flotte », j’ai « toujours su passer à travers les gouttes des affaires de financement politique » (3). Car l’autre règle d’or, avec « vivons heureux, vivons cachés », c’est son pendant : « pas vu, pas pris ». Toujours entendu par les juges, jamais mis en examen. Comment on bosse ? Un politique à notre botte, la plupart du temps salarié chez nous, nous met en contact avec les décideurs de l’attribution du marché, et puis on cause, pour qu’ils soient particulièrement gentils avec nous. Comme Frémont, élu UDF à Paris, où Louise-Yvonne Casetta (si, si, la « Cassette » du RPR), d’abord salariée d’une de nos filiales, qui organise maintenant des séminaires pour les cadres de Veolia. Ce système, on vit dessus depuis Napoléon III (4). Sinon, je suis devenu le chouchou de Chirac, qui m’a filé la Légion d’Honneur de ses mains et m’embarque dans tous ses voyages de VRP de la France. J’ai le plus beau carnet d’adresses de politicards de l’hexagone, à droite bien sûr, mais à gauche aussi. Certains sous-entendent que goût du secret + réseau commak = franc-mac, mais j’ai toujours nié (5). Pas vu…Côté bizness, la règle d’or d’un contrat, c’est : les investissements à la charge des collectivités et des abonnés, le bénéf’ pour nous ! En PACA, on a fait parmi nos plus beaux coups, comme à Toulon avec Arreckx et Nice avec Médecin. Par exemple, pour réparer le canal de la Vésubie, on a « avancé » le coût des travaux. Au total, on a sorti 374 millions de francs, mais on en a empoché 868 grâce à une taxe sur le m3. Sans compter une surfacturation annuelle estimée à 200 millions d’euros. Merci les abonnés ! De Médecin à Peyrat, personne n’a moufté. Pareil à Toulon, qui est restée Veolia Ville d’Arreckx à Falco (6). Mais l’eau, depuis la loi Sapin sur les marchés publics, c’est plus ce que c’était. Donc, je mise un maximum sur la Chine, où l’on se croirait au bon vieux temps. Un pouvoir dictatorial et ultra-libéral qui se contrefout de la transparence, le paradis des affaires… et puis bientôt 1 milliard et demi d’abonnés ! Là où on continue à faire du gras en France, c’est avec les transports et les déchets. Toujours fidèles à nos principes – nationalisation des pertes, privatisation des bénéfices – on laisse les collectivités financer les infrastructures et puis nous on relève les compteurs derrière, comme pour le tramway à Marseille qui va être co-exploité par la RTM et notre filiale transport, la Connex. Là encore, le réseau, toujours le réseau. Le directeur général de la RTM, Marc Girardot, n’est autre que le frère de mon père spirituel, Paul-Louis Girardot, administrateur de Veolia, et vice-président de l’Institut Veolia Environnement, auquel je « voue toujours un culte » (7). Marc Girardot se trouve également être administrateur de la CGMF, société d’Etat qui détenait 80% de la SNCM, avant que la Connex ne soit désignée par Villepin pour entrer dans le capital de la SNCM. Comme ça, ça reste dans la famille. Les transports, ça durera ce que ça durera, parce qu’en Angleterre ils en sont déjà revenus, de la privatisation. Ils ont fini par nous foutre dehors, il ne nous reste plus qu’une ligne de bus outre-Manche ! Mais en France, on peut compter au moins sur vingt ans de suivisme crétin, surtout avec Sarko en 2007. Quant à ma retraite, je me verrais bien sénateur des Alpes-Maritimes (8), afin de continuer d’inonder de mes bienfaits mon département natal. Mais chut, à présent ! Vous allez finir par me faire parler.
Paul Tergaiste