Elections régionales Menaces sur les Conseils régionaux

juin 2010

Paradoxe. Les électeurs sont invités, en mars, à élire des conseillers régionaux, fonction que le gouvernement s’apprête pourtant à supprimer. Les Régions sont en plein dans le collimateur de la réforme territoriale : création de conseillers territoriaux en fusionnant conseillers régionaux et généraux, redéfinition des compétences de la Région, modification des ressources, changement du mode de scrutin. C’est pour rationaliser, explique-t-on à droite. C’est pour centraliser, dénonce-t-on à gauche.

Arnaud, Sandra et Maxime ont chacun une vingtaine d’années mais ils se passionnent plus pour la réforme des collectivités territoriales que pour la sortie du dernier film en 3D au multiplexe du coin. Sandra : « Ce qui gêne le PS et le PCF dans cette réforme, c’est qu’ils vont perdre des élus. Rien de plus. Et c’est vrai ! Elle en supprime un sur deux dans les départements et les régions. On va faire des économies substantielles ! » Arnaud : « Le coût des élus représente moins d’un demi point du fonctionnement des collectivités territoriales. Ce sont elles qui portent 75 % de l’investissement public, qui relancent l’économie. » Maxime : « Cette réforme a un seul but : éloigner une fois de plus les citoyens de leurs élus. »

Cette discussion n’a pas eu lieu dans une file d’attente pour aller voir « Avatar » de James Cameron. Elle s’est déroulée dans le studio de radio Grenouille lors de l’enregistrement de la Grande Tchatche (Cf page 20). Arnaud Drouot, 21ans, est au Mouvement des jeunesses socialistes. Sandra Blanchard, 23 ans, milite aux « jeunes populaires » de l’UMP. Maxime Picard, 24 ans, est au Mouvement des jeunesses communistes. Technique, complexe, divisée en plusieurs projets de loi, la réforme des collectivités territoriales n’a rien pour autant de virtuelle. Première conséquence concrète : les élus que nous allons désigner en mars prochain ne siègeront que quatre ans au lieu de six. Et ils seront les derniers conseillers régionaux de la 5ème République.

« Il n’y a pas de mille-feuille »

Les Départements et les Régions ne vont pas être supprimés. L’idée est de créer une nouvelle race d’élus : les conseillers territoriaux, appelés à siéger dans les deux assemblées et désignés par les électeurs lors d’un même scrutin. Ce n’est pas tout. Côté cuisine, leur mode de désignation est appelé à changer également : au lieu de l’actuel vote à deux tours, ce serait un scrutin cantonal uninominal majoritaire à un tour à hauteur de 80 % tempéré par un peu de proportionnelle pour les 20 % restants (sic). Côté restaurant, le menu risque d’être modifié en profondeur. Car les missions du Conseil régional vont être redéfinies notamment en supprimant la clause de « compétence générale », en clair en interdisant la possibilité d’intervenir dans des domaines réservés à d’autres collectivités. Pour finir, les ressources sont aussi sur la sellette : le gouvernement veut réviser tout le mécano du financement…

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« Les médias doivent nous aider à pulvériser deux mensonges. » C’est un Michel Vauzelle particulièrement remonté qui s’adresse, le 11 décembre dernier à Marseille, à ses semblables réunis pour le 5ème congrès de l’Association des régions de France (ARF). Pour mémoire, il en existe 22 dont 20 dirigées par un président socialiste. Premier mensonge selon le président du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur : « Il n’y a de mille-feuille que dans les pâtisseries que je suis allé distribuer devant le Conseil constitutionnel à Paris. Il n’y a que trois feuilles et c’est l’Etat qui complique les choses. » Deuxième « mensonge » :« Les élus locaux ne sont pas des dépensiers qui jettent de l’argent par les fenêtres. Même si des préfets militants du parti du président de la République disent que l’argent nous tombe des poches. » Et pan pour Michel Sappin, préfet de région, contre lequel Michel Vauzelle a porté plainte pour « injure et diffamation » !

« C’est un populisme nauséabond »

Alain Rousset (PS), président de l’ARF et du Conseil régional d’Aquitaine, explicite sa principale crainte : « A part les cartes grises, le gouvernement prévoit de nous supprimer toute la fiscalité ménages. Et comme les sièges sociaux des grandes entreprises se trouvent en région parisienne, nous risquons de devenir la collectivité locale la plus dépendante de l’Etat. » A droite, à l’inverse, on plaide le plus souvent une nécessaire rationalisation. « Tout le monde s’occupe de tout et de n’importe quoi, il y a trop de strates. On va mourir de tout ça », affirme Bruno Gilles. Et le sénateur des Bouches-du-Rhône de mettre les pieds dans le plat en donnant un exemple : « Regardez Marseille Provence 2013, la capitale européenne de la culture. Six collectivités sont impliquées et tout le monde affirme vouloir faire au mieux. En réalité, chacun va essayer de servir ses clientèles. » La réforme serait donc une entreprise courageuse pour faire entrer la France dans « le cercle des grandes démocraties à l’anglo-saxonne où, la même année, aura lieu l’élection municipale, celle des élus siégant à la fois dans les Conseils généraux et régionaux mais aussi, désormais, l’élection des conseillers communautaires ».

« Le discours sur le thème « il y a trop d’élus » relève d’un populisme nauséabond, s’insurge Marie Bouchez, conseillère régionale Verte des Hautes-Alpes. Le gouvernement ne cesse de se débarasser au profit des collectivités locales de ce qui le gêne tout en leur supprimant les moyens d’exister. Il va tuer les Régions dans leur capacité d’innovation. Pourtant, bien plus que les Départements, ce sont elles qui peuvent agir contre les clivages sociaux et territoriaux. La métropolisation voulue par le gouvernement risque aussi de renforcer les inégalités de richesses. Si on ajoute la fin des pays, et donc des Conseils de développement, ce sont tous les lieux de démocratie de proximité qui disparaissent. » Dégât collatéral : la parité. Il y avait plus de 47 % de femmes dans les Conseils régionaux. Il y en a seulement un peu plus de 12 % dans les Conseils généraux. Une faible proportion que devrait favoriser le nouveau mode de scrutin des conseillers territoriaux.

Tout n’est pas encore complètement joué. Les présidents socialistes des Régions veulent faire de l’élection en mars un « référendum » contre la réforme. Avec un risque : si la gauche triomphe, la tentation de tordre le cou aux Conseils régionaux risque d’être encore plus forte pour le gouvernement. In fine, l’élection présidentielle en 2012 sera déterminante. Seule une défaite de Nicolas Sarkozy pourrait l’empêcher de mener à bien sa grande oeuvre. « Nous faisons face à une crise de la démocratie, à la remise en cause de la Région comme espace d’aménagement démocratique des territoires à la française à l’opposé des modèles américains et japonais. Et puis ce terme de « conseillers territoriaux » évoque le temps des colonies », fulmine Michel Vauzelle. « On ne fera pas n’importe quoi. On ne touchera pas aux communes comme unité de base de la proximité, rassure Bruno Gilles. Les compétences croisées des futurs conseillers territoriaux vont être utiles. Et puis la sagesse légendaire du Sénat va permettre de mettre de l’huile dans les rouages. » Zen. Soyons zen.

Par Michel Gairaud

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