Edito
On a eu peur. Si le gouvernement s’était obstiné à défendre quelques semaines de plus son « CPE », que serait-il arrivé ? De drôles d’idées commençaient à fleurir dans les têtes : refus de la précarité, désir de justice sociale, redécouverte des vertus de l’action collective… Encore un peu et les jeunes, avec leurs aînés, étaient sur le point de se laisser aller à des extrémités : revendiquer un avenir meilleur, plus généreux, plus solidaire… Le « CPE » est mort, même si son petit cousin, le CNE, se porte bien. Ceux qui sont restés muets durant tout le conflit sortent du bois. Comme le président délégué de l’UMP, Jean-Claude Gaudin, confiant, une fois la bataille finie, au Parisien : « je ne sentais pas le CPE ». Le maire de Marseille a aussi, très courageusement, attendu que Dominique de Villepin soit à terre pour afficher officiellement son soutien à Nicolas Sarkozy, le meilleur candidat de la droite en 2007 : « Surtout protégeons-le ! Nos espoirs reposent sur lui. S’il n’était plus là, comment ferions-nous ? ».
Sarkozy est de retour. Toujours plus souriant, télégénique et combatif. La question sociale faisait la « Une » de tous les journaux ? Il ressort donc des placards l’épouvantail de l’immigration, qualifiée de « subie » pour faire neuf. Il repose l’équation, toujours électoralement payante, selon laquelle immigrés et délinquants ne forment souvent qu’un. Le projet de loi du ministre de l’Intérieur multiplie les obstacles au regroupement familial des étrangers. Il complique les démarches pour obtenir des titres de séjour, même pour ceux qui ont vécu plus de dix ans en France. Le tour de passe-passe est réussi. Le « besoin d’ordre, d’autorité et de fermeté », que diagnostique Sarkozy, prime à nouveau sur le désir de changement, de mouvement et de justice qui s’était exprimé. La course à la démagogie sécuritaire est relancée. Les man?uvres de Jacques Bompard, rallié à Philippe de Villiers, pour débaucher les cadres varois du Front national, annoncent de multiples combinaisons entre droite extrême et extrême droite.
Les églises se rebellent. Les premiers à avoir réagi avec force et fermeté aux orientations de la loi sur l’immigration ne sont pas des députés ou des sénateurs de l’opposition. Mais des catholiques, des protestants et des orthodoxes, regroupés dans un Conseil des églises chrétiennes, dénonçant les « sérieuses conséquences sur le sort qui sera réservé à tant d’hommes et de femmes à la situation fragile. » Un collectif rassemblant une cinquantaine d’associations chrétiennes (entre autres le Secours catholique, le CCFD, la Cimade dont nous publions ce mois-ci la tribune d’un responsable régional) a organisé la fronde. Depuis, Dalil Boubakeur, le président du Conseil français du culte musulman, a fustigé à son tour les choix du gouvernement. Un véritable cauchemar pour ceux qu’irrite l’interventionnisme des dignitaires religieux. Un exemple de plus qui illustre les liens, complexes et parfois contestables, unissant politique et religion. De l’affaire des caricatures au débat sur l’immigration, pour le pire ou le meilleur, les frontières de la sacro-sainte séparation des églises et du pouvoir ne sont pas aussi figées qu’on l’imagine. Amen !
le Ravi