Digne, ma petite ville après la RGPP
Tout un symbole ! Le bureau de Serge Gloaguen fait face à la maison d’arrêt de Digne-les-Bains. Même si toutes les fenêtres du maire divers gauche de la petite ville, située au cœur des Alpes-de-Haute-Provence, ne donnent pas que sur la prison, il semble apprécier particulièrement la vue sur le bâtiment carcéral. « On a évité le pire ! », souffle Serge Gloaguen.
Il y a un an en effet, comme vingt-deux autres établissements, la prison était dans le viseur de la loi pénitentiaire. Avec elle, également, quelques emplois dans les forces de l’ordre et les Assises. Finalement, au printemps dernier, le gouvernement l’a graciée. Élus et population se sont également mobilisés pour sauver leurs 40 matons : Serge Gloaguen et les trois parlementaires du département ont fait deux voyages à Paris ; le 18 octobre 2010, au plus fort du mouvement social contre la réforme des retraites, 3 000 personnes ont défilé à Digne pour demander le maintien de la maison d’arrêt ; une pétition a rassemblé 6 000 signatures.
C’était peut-être la saignée de trop. La préfecture du 04 compte plus de 50 % d’emplois publics et parapublics (1). Elle n’a pas échappé aux regroupements et suppressions de services de la réforme générale des politiques publiques (RGPP) chère à Nicolas Sarkozy. À Digne, la RGPP a été appliquée à la lettre : fermeture du tribunal de commerce, de la direction des impôts, de celles de la Jeunesse et sports et des services vétérinaires ; regroupement des fraudes et de l’inspection du travail, des tribunaux d’instance, des affaires familiales et des prud’hommes ; délocalisation de services préfectoraux à Marseille ; traditionnelles fermetures de classes… Liste non exhaustive ! Sans oublier les 80 postes en moins à l’hôpital, les restructurations à La Poste depuis sa privatisation, le départ de la direction commerciale d’EDF, de celle des Mutuelles du Soleil… Serge Gloaguen fait grise mine : « Alors que la population avait augmenté de 10 % entre 2000 et 2006 pour atteindre 19 200 habitants, depuis 2007-2008 elle a baissé de 400 à 500 personnes. J’y vois un rapport de cause à effet. » Et de pester : « On fait vivre tout le bassin dignois ! »
Malgré pareil traitement, pas d’appel à la résistance sur les murs ou dans les vitrines, le centre n’est pas à l’abandon. Mercredi 19 octobre, la petite ville vit à son petit rythme. C’est jour de marché. Les retraités se retrouvent dans les cafés après les courses, remplacés l’après-midi par les ados. À la Bourse du travail, boulevard Victor-Hugo, Alain Bard finalise entre midi et deux une campagne de syndicalisation dans les petites entreprises. « L’impact de la RGPP est difficile à mesurer. Pour l’instant, les gens restent en place. Dans deux ou trois ans, lorsque leurs postes n’auront pas été remplacés, on y verra plus clair. Mais l’ambiance est à l’inquiétude », explique le secrétaire général départemental de la CGT.
« Depuis 2007, la population a baissé de 400 à 500 personnes ! »
« On ne peut plus faire de réclamations, la maternité ne dispose plus que d’un pédiatre. Dans une ville qui n’a pas beaucoup de ressources, si les emplois de la fonction publique sont supprimés, ça va poser problème », assure Émile, un ancien pompier de 57 ans. Bernard, 62 ans, est plus sombre encore. « Les choses ne s’arrangent pas, c’est certain. Mais c’est difficile de voir ce qui relève de l’État et des collectivités locales », juge le retraité. Le constat n’est pas plus joyeux à la librairie La Ruelle, installée place Général-de-Gaulle, en face de la mairie. « On subit aussi la baisse des budgets de la bibliothèque, de l’hôpital et de la médiathèque, explique Joé, le libraire. Heureusement, il y a une plus forte imprégnation syndicale, notamment dans l’éducation nationale. »
Alain Bard veut néanmoins mettre l’accent sur des faits positifs : « Quelques résistances ont permis d’atténuer l’impact de la RGPP. Ça aurait pu être pire. » Avant de reconnaître que l’heure n’est pas au triomphalisme : « Même si c’est moins brutal, les mobilisations n’ont pas non plus eu l’ampleur de celles de Châteaux-Arnoux contre la fermeture d’Arkema… » Pour expliquer la relative résignation des troupes, le syndicaliste, un postier, pointe du doigt le « corporatisme » mais aussi « un manque de combativité des élus ». Avec une dent particulière contre le député socialiste et président « ségoléniste » du conseil général, Jean-Louis Bianco. « Au poste où il est, il devrait, pourrait impulser, appeler à la mobilisation. Mais son seul intérêt, c’est la politique parisienne », tacle Alain Bard. Serge Gloaguen est sur la même longueur d’onde. De son côté, Jean-Louis Bianco balaie : « Le maire se moque du monde. Il m’en veut toujours parce que j’ai soutenu quelqu’un d’autre aux municipales. Mais je passe mon temps à me battre, je suis dans toutes les manifs ! »
Intarissable, cette inimitié. Serge Gloaguen appelle de son côté à « la vigilance » : « Digne n’est pas sur le déclin. Elle est très agréable à vivre et dispose d’équipements pour une ville de 40 000 habitants. Mais on est fragilisé. Qu’il y ait une situation économique particulière, des regroupements de services à faire, je le comprends. Mais qu’on ne nous balade pas, qu’on ne nous masque pas la réalité ! Et qu’on nous aide sur d’autres dossiers. » Un exemple ? Une nouvelle prison !
Jean-François Poupelin