D’un cliché à l’autre : questions d’image…

décembre 2005
En quinze ans, Marseille-Chicago est devenue Marseille-San Francisco, en partie par la communication de Jean-Claude Gaudin. Mais la vraie ville est ailleurs, et tant pis pour ses habitants.

S’il y a une chose que Jean-Claude Gaudin a bien comprise, c’est que nous vivons au siècle de l’image. Et s’il y a une chose qu’il n’est pas loin d’avoir réussi, les circonstances aidant il est vrai, c’est d’avoir changer celle de Marseille. Aussi ne décolère-t-il pas lorsque les syndicats paralysent la Ville, comme la RTM ces dernières semaines, ou bien lorsque les éboueurs font grève lors de la visite du milliardaire Bertarelli, organisateur de la coupe de l’America, qui se tournera finalement vers Valence. La coupe de l’America est typique de la méthode Gaudin : faire de l’événementiel tous azimuts.

Dernièrement, ce fut le tapis rouge déployé pour Luc Besson et son multiplexe (peu importe qu’il n’ait aucune expérience en la matière), dans la veine pipole de la réception de Tom Cruise ou de Delon en grande pompe. La candidature (malheureuse) à la coupe de l’America s’inscrit dans un autre axe, celui des « concours de beauté ».

Actuellement en lice pour être capitale culturelle en 2013, Marseille a été aussi dans la course pour les JO 2012 (avec Paris), connaissant plus de succès avec la coupe du monde de rugby (2007) et la Coupe du Monde 1998 (choix pour lesquels la ville n’est en rien responsable), ce dernier « évènement » marquant sans doute un tournant dans l’image de la cité phocéenne, consacrant une lente évolution qui se lit dans les médias au long des années 90.

En 1990, on atteint en effet le summum des clichés négatifs dans une émission de Christine Ockrent qui causa un véritable tollé, d’où partira la nouvelle tendance. Hasard ou pas, c’est en 1998 qu’Olivier Boura publie Marseille ou la mauvaise réputation, comme pour mieux tourner la page. Il y décortique plaisamment les clichés dévalorisants où l’image de la ville s’est cristallisée au long de l’histoire, pour aboutir à une conclusion que nous ne partageons pas : « Elle qui si longtemps, et plus que toute autre, fut prisonnière de clichés, voici qu’enfin elle leur échappe. » Car c’est plus à un retournement de clichés que l’on assiste, où le négatif devient positif, comme en photo. Longtemps Marseille fut la ville louche, sale, mafieuse, cosmopolite, paresseuse…

Paris, la ville-lumière, avait pour pendant Marseille, la ville des ténèbres. Et puis l’air du temps a changé de direction. La société des loisirs s’éloigne de la ville septentrionale industrieuse où l’on n’existe que par l’argent, préférant celui du farniente, de la « qualité de vie ». « L’amour de Marseille n’est jamais loin du désamour pour Paris. » (1) Ainsi Paris est devenue subitement polluée, sans mer ni soleil, trop chère, trop sérieuse. Au bénéfice de Marseille, où la paresse s’est muée en art de vivre, la pauvreté en détachement vis-à-vis du matérialisme, et les immigrés « bruyants et odorants » en un cosmopolitisme bigarré.

Globalement, la municipalité Gaudin n’a fait qu’accompagner cette tendance (en plantant frénétiquement des palmiers dans toute la ville, par exemple) sa politique n’y étant pour pas grand-chose : puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. En revanche, en sachant surfer sur la vague et en arrivant à l’amplifier, la Mairie tire les bénéfices politiques de ce « réenchantement » (2), qui profite avant tout aux spéculateurs immobiliers. L’un et l’autre sont intimement liés, comme en atteste aujourd’hui un marché immobilier qui marque le pas au moment où l’image d’Epinal commence à s’effriter dans la presse. Gare aux krachs.

Jacques Secouéla

Imprimer