Contre culture occitane
En Paca, Occitans et Nissarts aimeraient voir vivre leurs langues et leurs cultures. Mais ne leur parlez pas d’identité !
Samedi 24 octobre, 35 000 personnes ont défilé dans les rues de Carcassonne pour revendiquer les moyens de faire vivre l’Occitan. Mauvaise humeur identitaire ? « Uniquement culturelle », assure André Neyton, directeur du Centre dramatique occitan de Toulon (CDO).
A quelques jours du lancement du « grand débat sur l’identité nationale » par le ministre de l’Immigration, les tenants de la langue d’Oc ont donc choisi leur camp. Eux aussi dénoncent un faux débat, accusent le gouvernement de xénophobie, de nationalisme, etc. « L’époque où tu naissais et mourrais dans ta communauté est finie. Aujourd’hui, tu la choisis, tu en changes, tu t’adaptes à un monde sans barrières. L’important, c’est de s’inscrire dans l’histoire du lieu où tu vis, où tu te construis. L’identité n’est ni régionale, ni nationale, elle est propre à chacun », se passionne Moussu T, de Moussu T e lei jovents et l’un des piliers des Massilia Sound System.
Même son de cloche de la part du directeur du CDO : « Je récuse le terme. Il me fait immédiatement penser aux identitaires, les fachos de Nice. Poser son débat au niveau national signifie surtout que l’on est tous identique. Ce qui est faux. Comment parler d’identité occitane alors que la langue d’Oc est commune à 32 départements ? » Et d’insister : « Le 24 octobre, nous avons manifesté pour obtenir des moyens pour que notre langue, qui se meurt même dans les campagnes, puisse être enseignée et s’exprimer. Pas pour des revendications sur la bouillabaisse ou d’autres conneries comme le folklore ! »
« Il y a folklore et folklore »
Une posture que défend également Gérard Tautil, porte-parole du Parti Occitan (PO). « Il y a folklore et folklore. La chanson d’amour des troubadours, qui est notre héritage, et les traditions du 19ème siècle auxquelles se réfèrent certains groupes passéistes, droitistes et réactionnaires. » Même topo à Nice, où Louis Pastorelli du collectif artistique nissart Nux Vomica, pique une colère blanche à tout parallèle avec les indépendantistes de la Ligue de restauration des libertés niçoises : « Qu’est-ce qu’ils font à part porter le drapeau sur la tombe de Garibaldi ? Nous, depuis des années on met nos mots en action par la création. On organise des fêtes, un carnaval. Une langue et une culture n’existent que par la manière dont elles vivent ! »
Ecoles associatives, structures comme l’Institut d’études occitanes ou le Félibrige (association littéraire fondée par Frédéric Mistral), théâtre, musique, littérature, poésie, cuisine, etc. Tous assurent que la culture et la langue d’Oc sont toujours bien vivantes. Mais sur le déclin par manque de soutien. Indice : France 3 Méditerranée leur accorde généreusement quarante minutes hebdomadaires en deux formats de 35 minutes et 5 minutes le week-end, montre en main. Et il faut s’accrocher. Les protagonistes cherchent leurs mots, butent, semblent parler une langue qui leur est totalement étrangère. « C’est la réalité et l’état de la langue », reconnaît Gérard Tautil.
Même marginalisation au niveau culturel. « Il y a 30 ans, je présentais 80 % de spectacles en Occitan et 20 % en Français. Désormais, c’est l’inverse », déplore André Neyton. Malgré son succès populaire, Moussu T n’est pas mieux loti : « J’ai choisi de chanter en langue d’Oc parce que ça m’apportait une vision plus complète du monde, une autre boîte à outil, comme toute personne ayant deux cultures. Mais comme je chante aussi en français, les radios ne diffusent que ce répertoire pour des raisons de quota. Une partie de ma culture disparaît. Un chanteur étranger ne sera jamais confronté à ça. » Nouvelle fureur de Louis Pastorelli : « On nous prend pour des ploucs. C’est une limitation de l’esprit, on nous impose une unité. Résultat, à Nice on est schizophrène : on regarde vers Marseille alors qu’on est plus proche des Italiens. »
« On nous prend pour des ploucs ! »
Tous pointent une même cause : un Etat français centralisateur, qui impose sa culture et méprise celles populaires, à l’opposé de ses partenaires européens. « L’occitan ne survit en Paca que dans quelques écoles associatives et quelques classes de lycées de Marseille et Toulon. La Charte européenne des langues et des cultures minoritaires de 1994 pourrait nous permettre de mettre en place un vrai enseignement. Mais sur ses 75 articles, l’Etat en a signé 35 et ratifié aucun ! », dénonce le porte-parole du PO. Les élus locaux ne sont pas en reste. « Depuis 1947, on nous a fait 54 promesses de projet de loi. L’UMP nous a fait la dernière cette année. On l’attend toujours », poursuit l’ancien prof de philo.
Résultat, le combat se déplace un peu plus sur le terrain politique. Depuis les européennes de cette année, le PO a abandonné son indépendance peu fructueuse (1 à 2 %) pour s’allier avec Europe Ecologie. Rebelote aux régionales, avec la promesse de places éligibles et l’espoir d’obtenir des élus. « On veut pouvoir poser le problème de l’Occitan sur la place publique », précise Gérard Tautil. Avant de préciser : « Mais hors du cadre identitaire ou des « ismes » qu’on cherche à nous imposer. » Eric Besson va être déçu. Et refaire une crise identitaire ?
Jean-François Poupelin