Bienvenue à Falcoland

mai 2005
Hubert Falco gère sa ville. Ce qui n'était pas arrivé à Toulon depuis longtemps. Est-ce suffisant pour réveiller la belle endormie ? La concentration de tous les pouvoirs dans les mains d'un seul homme peut faire craindre un retour aux vieilles lanternes clientélistes...

Le bonheur est parfois simple comme un indicateur démographique à la hausse. Toulon, qui se dépeuple depuis trente ans, gagne enfin des habitants. L’Insee l’atteste : la ville compte 8000 personnes supplémentaires depuis 1999. Hubert Falco exulte. « C’est un signe qui ne trompe pas, c’est la preuve que notre ville est redevenue attractive », claironne-t-il en toutes circonstances et dans l’entretien qu’il nous a accordé. Le maire a de quoi se réjouir. C’est un précurseur. Un an avant que Jacques Chirac fasse rougir les chefs d’Etats africains avec ses 82 % d’électeurs, Falco montrait la voie, en 2001, en s’emparant de Toulon avec 68,73 % des suffrages. Ecrasant ainsi le maire d’extrême droite sortant, Jean-Marie Le Chevallier, exilant le Front national du conseil municipal et réduisant l’opposition à peau de chagrin. Socialistes, communistes et verts cumulent à eux trois seulement neuf élus !

Président de la communauté d’agglomération Toulon Provence méditerranée qu’il a créée, sénateur, Hubert Falco garde la maîtrise du Conseil général du Var qu’il dirigeait avant de céder son fauteuil à Horace Lanfranchi, un proche. Et il peut désormais faire figurer en bas de ses éditos la mention « ancien ministre ». Son exploit au gouvernement Raffarin ? Avoir réussi à être promu de « secrétaire d’Etat » aux personnes âgées à « ministre délégué » suite au drame de la canicule. Une surprenante récompense alors qu’au même moment son « ami » Jean-François Mattéi, feu ministre de la santé, se retrouvait politiquement calciné.

« Bac moins six », un surnom qui colle à la peau d’Hubert Falco, ne brille pas toujours par son éloquence mais a acquis de solides assises politiques et bénéficie, dans sa ville, d’une bonne image. Toulon bouge-t-elle comme l’affirme son nouvel homme fort ? La nouvelle gare routière, payée par le Conseil général, resplendie. A l’entrée ouest de la ville, le futur complexe sportif Jauréguiberry, payé par le Conseil général, sort de terre. La salle omnisport est malencontreusement construite au milieu du périmètre nucléaire de l’Arsenal. Juste un petit détail…(1) D’autres grands chantiers sont annoncés : en 2009, l’ouverture d’un deuxième « tube », pour doubler le tunnel routier traversant Toulon ; en 2011, au mieux, un tronçon de Tramway… Enfin, 5000 nouveaux étudiants, un pôle universitaire rénové et un nouveau campus au centre ville sont espérés… en 2012 !

En attendant, travaux de voirie et d’embellissement se multiplient. 6,5 millions d’euros sont dépensés pour poser un nouveau dallage sur la place de la Liberté… Et, partout, fleurissent des palmiers. Des centaines de palmiers. Fini les turpitudes des Maurice Arreckx, François Trucy, Jean-Marie Le Chevallier ? La corruption ? La droite extrême ? L’extrême droite ? Réveillée la belle endormie, avec ses nombreux retraités et ses marins jusqu’alors peu enclins à investir la vie publique ? « Pendant des décennies, rien de bon n’a été fait à Toulon, souligne Lorenzo Matéos, conseiller municipal communiste. Aujourd’hui le minimum est réalisé. La ville est gérée. Les toulonnais ont parfois l’impression que les choses avancent. En fait, c’est tout juste un retour aux normes. »

« Le Var reconstitue sa culture de l’étouffoir féodal. Le seigneur du département dicte sa loi à ses vassaux. Contrôler les élus locaux semble à nouveau plus important que de développer des projets d’intérêt général »

Philippe Chesneau, conseiller régional Vert

Avec 12,9 % de chômeurs, Toulon figure à la 41ème place du classement des villes françaises. Au cours des vingt dernières années, l’agglomération a perdu 18 000 emplois industriels. L’arrivée du porte-avion Charles de Gaulle avec ses 2800 militaires et leurs familles n’a pas compensé l’érosion de la construction navale. Au centre ville, les pas de portes murés sont encore légions. Pas de quoi vraiment se réjouir. Mais la réélection d’Hubert Falco semble d’ores et déjà acquise. « Plus il y a de misère, plus une forme traditionnelle de clientélisme trouve le bon terreau pour se développer », constate Lorenzo Matéos. Le principal employeur de la ville, c’est le maire. 60 % du budget de fonctionnement de Toulon est absorbé par les dépenses du personnel. « Falco a promis de faire un audit, de mettre un terme à cette inflation, quand il est arrivé, se souvient l’élu de l’opposition. Mais la progression des embauches se poursuit au rythme de 2,8 % par an. A ce rythme, en 2008, 70 % des dépenses de la ville seront consacrées à son personnel. »

Bien huilé, le système Falco laisse apparaître quelques ratés. Lors des dernières régionales, Michel Vauzelle est arrivé en tête sur les trois cantons avec plus de 42 % des voix. La gauche a réussi à garder un siège au Conseil général. Le Var s’est même offert avec Pierre Yves Collombat, un sénateur socialiste. « Toulon n’est pas la ville de droite que l’on croit, affirme Robert Alfonsi, conseiller municipal socialiste. Bien sûr, elle est conservatrice mais dans le même temps souvent contestataire. Une ville péroniste en quelque sorte. »

Là où Falco s’emploie à flatter l’ego des toulonnais, Robert Alfonsi, premier secrétaire du parti socialiste, vice-président au Conseil régional, ne craint pas d’évoquer la face « sombre » de sa ville. « Toulon a un problème avec la modernité, reconnaît-il. C’est une ville où les habitants pétitionnent dès qu’il y a un peu de bruit. Le poids des retraités de la marine est très fort, celui de gens qui ont acheté une jolie villa et veulent avant tout qu’on les laisse tranquille. Longtemps, les ouvriers des chantiers navals, les cheminots, les employés d’EDF et bien d’autres encore, faisaient antidote. Il serait temps que les toulonnais dépassent leur complexe vis-à-vis de Paris, Marseille et Nice, mettent de côté une certaine fierté gémissante. La ville aurait besoin d’un visionnaire. Elle semble pour l’instant se satisfaire d’un gestionnaire. » Des accents de sincérité, sans doute, mais pas vraiment le programme fédérateur d’un homme tentant de préparer une prochaine alternance.

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D’aucuns jugent Alfonsi trop conciliant avec le maire. Opposant « constructif », il n’en demeure pourtant pas moins incisif à ses heures. « Le tramway s’enlise, le logement frôle la catastrophe, l’emploi est en berne, souligne-t-il. Ce qui caractérise la méthode Falco, c’est la peur de bousculer. La droite toulonnaise, viscéralement clanique, est incapable de se saisir des débats nationaux pour irriguer la vie locale. Son credo : l’immobilisme. » Le mot est lâché : le clanisme, ses petits arrangements entre soi, ses pratiques clientélistes et parfois, au bout du chemin, les pratiques douteuses, les affaires et la corruption. Une histoire du passé ? Epoque révolue, celle où le maire Arreckx ne prenait même pas la peine de cacher son « amitié » avec Jean-Louis Fargette, patron du milieu varois ?

Petit Falco est devenu grand. Il concentre désormais entre ses mains tous les leviers du pouvoir. Jusqu’ici apparemment vertueux, saura-t-il le rester ? Le toulonnais Philippe Chesneau, Conseiller régional Vert, s’interroge. « Falco a gagné la bataille de l’image en parvenant à convaincre qu’il a rompu avec la triste tradition du Var corrompu, souligne-t-il. Même si les hommes sur lesquels il s’appuie n’ont pas vraiment été renouvelés, il faut espérer que c’est bien vrai. Rien ne me permet de dire que la corruption est toujours présente à Toulon. Mais force est de constater que la façon dont l’argent public est redistribué par Toulon Provence Méditerranée, sans cohérence et sans projet d’ensemble, est du pur clientélisme. »

Vice-président au Conseil régional, délégué à l’emploi et aux politiques territoriales, Philippe Chesneau se félicite de l’avancée de certains dossiers, comme la candidature associant Toulon et Brest autour d’un « pôle de compétitivité » dédié à la mer. Mais il regrette vivement par exemple, lors de la création de TPM, le « sabordage » du pacte territorial pour l’emploi. « Tout le travail de coordination qui avait été mis en place entre salariés et patrons, chambres de commerces et syndicats, institutions et société civile, a été délibérément enterré par Falco, déplore le Conseiller régional. Rien d’étonnant : il s’agissait d’un travail collectif, le contraire du fait du prince. Le Var reconstitue sa culture de l’étouffoir féodal. Le seigneur du département dicte sa loi à ses vassaux. Contrôler les élus locaux semble à nouveau plus important que de développer des projets d’intérêt général. » Vous reprendrez bien quelques palmiers ?

M.G.

(1) Lire à ce sujet d’ instructifs articles sur www.cuverville.org Site fort utile pour qui veut s’informer sur Toulon.

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