Arles rêve d’une révolution culturelle
« La culture ce n’est pas que de l’événement. C’est fondamentalement une façon de lier l’histoire d’un territoire à son devenir », souligne Philippe Pouliquen, directeur adjoint de la direction de l’aménagement du territoire et des grands projets. Ses services pilotent la reconversion des ateliers SNCF, site de 10 hectares sur lequel a été construite la « grande halle », cadeau offert par la Région. Il pourrait être « empoisonné » : le budget de fonctionnement de ce nouvel équipement est évalué à 1,5 millions d’Euros par an, ce qui fait beaucoup pour une des villes les plus pauvres de France dont les dépenses culturelles sont largement sollicitées par les grands festivals d’été.
Harmonia Mundi est l’entreprise culturelle privée la plus importante d’Arles. Il y a 22 ans, elle est venue s’installer au Mas de Vert sur l’invitation du maire RPR de l’époque, Jean-Pierre Camoin, pour un loyer « tempéré », et sur la promesse de créer des emplois. Elle comptait 30 salariés au départ, et en fait travailler aujourd’hui 130 avec un chiffre d’affaires de 60 millions d’Euros. « Cette grande halle est une coquille vide, traduisant architecturalement l’esprit de nos temps culturels où l’on parle plus du contenant que du contenu », tacle Bernard Coutaz, directeur d’Harmonia Mundi. Mais pour lui, comme pour beaucoup, c’est sans appel : Arles n’a pas d’avenir industriel. Mal placée géographiquement, avec un territoire à 85 % inondable, après les fermetures des ateliers Sncf et de la construction navale, le tourisme et la culture sont plus que jamais les cartes à jouer. « Le développement du secteur culturel ne donne pas un dynamisme à une économie locale qui serait complètement exsangue par ailleurs, nuance Philippe Hurdebourcq, directeur du développement industriel et international de la chambre de commerce et d’industrie du pays d’Arles. Les secteurs de la logistique, de la chaudronnerie et de l’agroalimentaire vont bien. » Il travaille depuis 2005 avec Gilles Martinet, directeur du Lerm (Laboratoire d’études et de recherche sur les matériaux) à l’élaboration du projet de « pôle de compétitivité industries culturelles et patrimoines ». En attendant d’obtenir ce label, il a été classé par la Région en Prides (Pôle régional d’innovation et de développement économique solidaire).
L’assignation, de plus en plus fréquente, faite à la culture de favoriser le développement économique peut parfois inquiéter sur les contenus proposés. « A tort !, déclare Françoise Nyssen, directrice générale des éditions Actes Sud. Actes Sud est la preuve vivante qu’une grande exigence sur des contenus n’empêche pas de trouver un large public. » Claire Antognazza, adjointe à la culture de la ville d’Arles, ne dit pas autre chose lorsqu’elle se félicite que l’exigence artistique des rencontres internationales de la photographie d’Arles séduise un public en augmentation constante. « Dans une dynamique de développement économique, on a toujours besoin d’avoir un symbole un peu fort, souligne l’adjointe. Et la culture à Arles c’est cette image-là. Même si elle n’est pas que ça. »
Si la culture est un poumon économique pour Arles, c’est surtout via les 1,5 millions de touristes qui déambulent chaque année dans les ruelles de la ville et la Camargue arlésienne. « Première activité de la ville, le tourisme est lié au patrimoine et à la culture, précise Christian Mourisard, adjoint PS au patrimoine et au tourisme. Inscrite au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, Arles se doit d’animer ses monuments. » D’où la mise à disposition des vieilles pierres de l’amphithéâtre et du théâtre antique pour de nombreuses manifestations. Au premier rang desquelles, la feria de Pâques, qui draine 450 000 personnes dans les rues, dont 50 000 dans les arènes. Second temps fort de la saison festivalière arlésienne : les rencontres internationales de la photo. « Avec 55 000 visiteurs, dont 90 % viennent pour du loisir, nous injectons 1,5 million d’euros par an dans la vie économique arlésienne », assure Alice Martin, administratrice générale des rencontres.
Autre vitrine culturelle, le festival de musiques du monde Les Suds à Arles fort de ses 2500 spectateurs quotidiens. Visiblement pas assez pour figurer sur le haut de la liste des manifestations touristico-économico-culturelles de l’office de tourisme. Ce dernier semble lui préférer le salon Provence prestige et ses 30 000 visiteurs. Pourtant, Les Suds ont le mérite de sortir de l’Arles antique pour investir différents quartiers de la ville, comme celui de la communauté gitane l’année dernière. Ils se projettent aussi dans le territoire naturel arlésien, avec une journée aux Salins de Giraud et des collaborations avec le marais de Vigueirat et le village du Mas-Thibert. « On comprend que les collectivités territoriales désirent soutenir des projets touristico-économiques, mais les professionnels de la culture doivent les pousser à l’exigence artistique », note Marie-José Justamond, la directrice artistique des Suds.
Défi que les autorités locales cherchent à relever pour développer le tourisme culturel : proposer des événements tout au long de l’année. Au risque d’être pris de turista culturelle. Certains projets rassurent. C’est le cas de Drôles de Noël, qui met les arts de la rue à l’honneur pendant que la plupart des villes françaises se contentent du classique marché de noël. Mais d’autres laissent pantois. En phase avec la mondialisation, Arles cherche désormais à attirer les touristes chinois. « C’est un marché exceptionnel. En Chine, les milliardaires se multiplient comme des petits pains. Soixante millions de Chinois ont un pouvoir d’achat nettement plus grand que celui de la classe supérieure européenne, s’exalte Christian Mourisard. Mais pour les attirer nous devons nous adapter à eux, surtout en matière de restauration. » Peut-être que les Chinois, en amuse-gueule, se verront offrir un pan d’architecture paléo-chrétienne ? Les fouilles archéologiques en cours laissent présager la découverte à Arles de la plus grande cathédrale européenne de cette époque, plus grande que Saint-Pierre de Rome. Reste à savoir si les cathédrales sont vraiment du goût des Chinois.
Anouk Batard & Marc Voiry, Radio Grenouille