Allauch, conseil municipal du 14 mars 2008
18h33 Difficile d’entrer dans la salle municipale François Mitterrand d’Allauch. Le premier conseil de la 6ème mandature du socialiste Roland Povinelli fait une grosse recette : même le derrière du comptoir du bar, pourtant hors service, a été pris d’assaut ! D’un peu plus près, un petit air d’école des fans se dégage : à côté des inconditionnels du maire, les familles, enfants compris, forment un gros contingent de l’assemblée. « Je suis là parce que ma femme est élue pour la première fois », glisse un retraité, l’?il humide. 18h36 Le maire sortant, réélu le 9 mars avec plus de 81 % de voix, laisse la présidence de la séance à Christian Jaille, conseiller tendance parti présidentiel de la nouvelle majorité (PS, Verts, Modem, UMP), pour cause d’élection du nouveau premier magistrat. Elu sur des listes d’union de la gauche ou gauche unie depuis 1975 et sans opposition pendant son dernier mandat, Roland Povinelli s’est transformé pour ces municipales en « Nicolas Sarkozy d’Allauch », selon ses mots. Objectif : contrer la liste Rouge Vifs, LCR, PCF, anti-libéraux et citoyens – « Enfin la gauche à Allauch » -, formée pour contester sa toute puissance locale.
18h39 Gilles Viallon, tête de liste d’« Enfin la gauche à Allauch » et candidat au poste de maire contre le vice-président de la Communauté urbaine de Marseille (CUM), demande à « marquer le retour de l’opposition au conseil municipal » par une déclaration. Visiblement impressionné, l’ingénieur à la barbe poivre et sel attaque d’une voix hésitante : « Les élus de notre liste souhaitent faire de la commune une ville ouverte et non pas réservée aux gens fortunés. » Et de promettre de « rompre avec le clientélisme et l’autoritarisme » ou encore d’informer la population de la tenue des conseils municipaux et des décisions prises. En conclusion, le nouvel élu prévient : « Nous souhaitons que notre groupe ait les moyens de fonctionner. » Roland Povinelli prend consciencieusement des notes.
18h51 Sans surprise, le maire sortant est réélu par 30 voix contre 3 et enfile sa 6e écharpe tricolore sous les crépitements des flashs des journalistes et les applaudissements chaleureux du public et de ses colistiers.
18h55 Après s’être amusé de son score « stalinien », avoir juré la main presque sur le c?ur que « depuis 33 ans, l’âge du Christ, [il] ne travaille que pour les Allaudiennes et les Allaudiens » et raillé Paulette Dadoit (opposition PCF), « à nos côtés pendant 20 ans et qui a voté toutes nos délibérations », Roland Povinelli s’attaque à la tête de liste de « Enfin à gauche ». « Si j’ai bien compris, vous faites partie des gens fortunés, monsieur Viallon ! », s’amuse le maire, lunettes sur le nez, le visage aussi rond que son ventre de notable de province. Jusque-là attentiste, la salle explose, rit, applaudit.
19h02 Début du stand- up de Roland Povinelli. A l’instar des bateleurs de foire, le maire harangue et excite le public en arpentant l’espace libre entre la scène de la salle municipale, cachée par un rideau, et les tables du conseil installées en « u», embellies de magnifiques nappes bleu roi. L’opposition bénéficie des trois places généreusement offertes par l’accent… Sa municipalité est le cancre du classement de la Fondation Abbé Pierre avec 2,5 % de logements sociaux ? « Nous avons su préserver nos 4 000 hectares de collines et notre agriculture », tonne Roland Povinelli. Et de s’attaquer une nouvelle fois à Gilles Viallon : « nous espérons que vous participerez à la prochaine campagne de replantage. Je vous donnerai une petite pioche ! » Nouvelle ovation. Suivie d’une surenchère : « Il y a 631 demandes de logement social en attente à Allauch, et je connais tous les demandeurs. D’ici trois-quatre ans, toutes seront réglées. »
19h09 Hâbleur, Roland Povinelli fait désormais les questions et les réponses, passe d’un sujet à l’autre… On l’accuse de vouloir rester à vie à la mairie ? « Entre un maire et une ville, c’est comme une histoire de couple. Certains se séparent au bout de six mois, d’autres restent ensemble toute leur vie », se défend le conseiller général, dans l’hilarité générale. 19h11 Etouffé par le débit du maire qui le dénigre maintenant de vouloir remunicipaliser l’eau, Gilles Viallon trouve la force d’insister : « Vous pouvez demander une étude indépendante. » Hésitant un instant, le maire s’en tire par une nouvelle pirouette : « Je ne suis marié avec personne ! Si c’est possible, moins cher et si l’eau à la même qualité, je serais d’accord. D’ailleurs, faites-moi une proposition. Un conseiller municipal est là pour conseiller son maire ! » La salle rit et applaudit, encore et toujours.
19h20 Définitivement conquis, le public relance lui-même le show lorsque Roland Povinelli décide d’arrêter : « Il n’est que 7h30 ! » Comme les meilleurs performeurs américains, le maire en rajoute alors : « J’ai encore une heure ! » Ovation redoublée. Le spectacle est pourtant terminé : il décide de s’asseoir.
19h21 Retour à la politique. Paulette Dadoit demande la parole. « Lorsque nous travaillions ensemble, mon groupe votait les délibérations issues du programme, mais pas celles qui en déviaient », souligne la conseillère communiste passée du côté de l’opposition, avant de lancer au maire : « Le PCF est à gauche, pas encore l’UMP à ce que je sache. » Le maire du tac au tac : « A Aubagne, le PC s’est allié avec le Modem. » Paulette Dadoit, un peu lasse : « Tu veux avoir le dernier mot… »
19h24 Roland Povinelli apprécie visiblement peu la contestation de son pouvoir et sa légitimité de représentant de la gauche locale : il accuse maintenant son opposition d’être un ersatz du nouveau parti d’Olivier Besancenot. « Vous dénaturez ! », proteste Gilles Viallon. « T’énerve pas ! », lance du milieu du public Charles Hoareau, leader charismatique de la CGT chômeurs et dernier de la liste « Enfin la gauche à Allauch ». Mais le maire insiste, de plus en plus vindicatif : « C’est ma problématique ! Vous avez voulu vous compter sur Allauch ! Mais en plus des 14 % réussis par le PC et la LCR à la présidentielle, vous n’avez attiré que des mécontents, ceux à qui je n’ai pas pu avoir un appart pour la petite ! » Et de roucouler à l’adresse du public : « Si Allauch est une belle commune, c’est un peu grâce à moi… » Pour une fois, son opposant a le dernier mot : « Vous n’en avez pas le monopole ! »
19h30 Robert Laporte demande à s’exprimer. « La prochaine fois, on votera un règlement intérieur et je le ferai appliquer », prévient Roland Povinelli, de plus en plus irrité. Troisième élu de l’opposition, le militant LCR s’amuse : « Vous avez cité trois fois le Christ. Lui, a eu la bonne idée de se retirer au bout de 33 ans… » Huées et sifflets dans le public. Robert Laporte n’en a cure : « Je vais aussi vous parler de démocratie. Vos colleurs d’affiches… » Robert Povinelli ne le laisse pas finir et, déstabilisé, s’excuse : « Je ne suis pas responsable du parti socialiste, je sais qu’il y a eu un affichage avec des propos xénophobes, mais je vous prie de croire que je n’étais pas au courant. » Puis clôt les débats d’un « On s’arrête ! » particulièrement autoritaire.
19h44 Roland Povinelli annonce l’élection d’Hélène Abert – « une femme brillante, directrice d’école, écrivain et humaniste » – au poste de première adjoint. En retour, il reçoit du « maire chéri… »
19h46 Indifférent à la flatterie, Roland Povinelli lève la séance. « Il n’avait plus envie de parler », assure un autochtone à la sortie. Un privilège de vainqueur qui offre peu de garantie à l’opposition…
Jean-François Poupelin