A Marseille, les affaires reprennent…

juin 2004
Le tissu urbain marseillais se caractérise par sa discontinuité et son étalement. Mais depuis quatre ans, la ville se densifie à un rythme soutenu : elle est devenue l'eldorado immobilier du département.

C’est un bien ou un mal, difficile à dire. La prolifération des grues et des mises en vente de logements neufs à Marseille laisse pantois les Marseillais eux-mêmes, qui voient leur ville changer à un rythme inconnu depuis les années 70. A cette époque, la ville gérait encore les suites de la crise du logement des années 50 et des rapatriements de 1962. Les dernières grandes barres HLM ont été construites autour de 1975, et remplaçaient pour certaines les cités d’urgence des années 50. L’urbanisme des barres touche à sa fin, et le taux d’accroissement démographique se tasse, jusqu’à devenir négatif à la fin des années 80. Marseille se retrouve alors dans une situation particulière : la ville a construit les HLM loin du centre, comme partout ailleurs, là où le foncier était peu cher, voire abandonné. Mais le territoire marseillais est étendu, et la crise économique laisse certaines zones industrielles se transformer en vastes friches. Aux abords directs du centre ville, les vieux entrepôts se transforment durablement en parkings, leurs propriétaires attendant des jours meilleurs pour vendre ou pour construire. Car il n’y a pas d’acheteurs : les prix des terrains sont au plus bas, et pour tout le monde, il est urgent d’attendre.

Cette crise de l’immobilier à Marseille laisse donc de grands trous dans le gruyère urbain. Tantôt des bâtiments industriels abandonnés, souvent aussi des espaces verts privés, aux abords des maisons de retraite ou des établissements publics ou religieux. Si de nombreuses bastides ont disparu sous les HLM des années 60, celles qui restent conservent leurs grands parcs, entretenus ou non, dont quelques-uns vont être transformés en jardins publics. Ce qui caractérise le tissu urbain marseillais, c’est bien sa « discontinuité », son étalement, dont l’étirement incroyable du réseau de bus est un symptôme frappant. Résultat : Marseille est une ville très peu dense, qui a préféré s’étendre que se concentrer. Lorsque l’immobilier reprend autour de l’année 2000, les promoteurs trouvent donc une situation presque idéale : des terrains disponibles, y compris à proximité du centre, et pour un prix encore raisonnable, dans une ville qui veut absolument sortir de la crise démographique, qui vend sa nouvelle image dans tous les magazines nationaux, et qui revendique sa place de deuxième ville de France…

Prix à la hausse

Dans ce contexte, tous les quartiers du Sud de la ville, et certains secteurs particuliers au Nord, comme Château-Gombert, sont d’emblée rentables. Les prix de vente des logements neufs au m² y dépassent les 15 000 francs de l’époque, et les projets immobiliers fleurissent rapidement, y compris en bord de mer (8ème), à Mazargues (9ème), à la Croix Rouge (13ème), etc. On construit quelques villas, mais surtout des immeubles, de quatre ou cinq étages, parfois moins, dans des résidences fermées. Le mouvement est tellement général qu’il touche également des quartiers moins attirants a priori, y compris aux abords directs des quartiers Nord, dans le secteur de Sainte Marthe (14ème), ou de Saint Antoine (15ème). A Sainte Marthe par exemple, grande réserve foncière ouverte à l’urbanisation par le nouveau Plan d’Occupation des Sols de 2000, à quelques centaines de mètres des grands ensembles de la ZUP n°1, les prix grimpent en flèche jusqu’à 2200 euro (14 500 FF) le m² pour la commercialisation du premier projet de Bouygues dans le secteur. Dès lors, c’est tout le territoire marseillais qui devient un terrain de construction pour des promoteurs qui n’en croient pas leurs yeux.

Ce mouvement de construction général et de « remplissage de la ville » est facile à mesurer. En augmentation entre 2000 et 2002, le rythme de livraison de logements neufs a explosé en 2003. Les statistiques du logement collectif dans les Bouches-du-Rhône sont particulièrement explicites : alors que les autres secteurs du département restent moroses, c’est Marseille qui assure la croissance du nombre de logements collectifs mis en vente : + 27 % en 2001, + 6 % en 2002, et + 97 % en 2003 en rythme annuel. Ce doublement du rythme de la construction n’est pas encore stoppé, et les prix ne donnent pas encore de signes de baisse. Logiquement, la mise sur le marché d’un gros volume de logements neufs devrait stopper la hausse des prix. Mais c’est sans compter avec la volonté politique des élus de Marseille : marqués par la stagnation démographique des années 80 et du début des années 90, ils se sont fixés pour objectif d’accueillir plus de dix mille nouveaux Marseillais par an. Et pas n’importe lesquels : les classes moyennes et supérieures qui avaient fui Marseille pour Vitrolles et le pays d’Aix. Pour ce public actif, motorisé et familial, la ville en oublie sa population plus modeste et la rénovation de son parc HLM. Elle consomme son espace, ses friches et ses dernières campagnes, élargit ses traverses, trace des routes de desserte plutôt que des rues. Or si la densification de la ville est une étape nécessaire, si elle permet de répondre effectivement au besoin de logement des actifs, à Marseille, elle s’apparente plus à une razzia des promoteurs qu’à un changement du fonctionnement urbain. L’exigence de deux places de parking pour tout nouveau logement entérine la voiture comme mode de transport principal, ce qui devrait amener la ville à un étouffement rapide. Les élus locaux, aveuglés par la renaissance démographique, n’en anticipent pas les conséquences.

Etienne Ballan

La promotion fait sa promotion

Les promoteurs ne reculent devant aucun qualificatif pour décrire ce qu’ils vendent. Petit florilège des publicités parues au cours des 12 derniers mois à Marseille : « Vivre côté pinède » (Rolim, 8ème), « Ouvrez les grilles d’un nouvel Eden » (Bouygues, 14ème), « Oxygénez-vous dans un nouvel univers » (Bouygues, 13ème), « Un parfum d’élégance dans une résidence raffinée » (Bouygues, 9ème), « Des villas en plein ciel » (George V, 8ème), « Pour bien vivre, au calme d’un domaine privé » (Promogim, 14ème), « Plus d’un hectare de nature et de bonheur » (George V, 8ème), « Une propriété très privée au c?ur de Marseille dédiée à un art de vivre très privilégié » (Les nouveaux constructeurs, 6ème), « Subtile alchimie d’influence orientale et d’architecture moderne » (Commercia, 8ème), etc.

Les noms des nouveaux ensembles ont également leur saveur ; on y fait parfois référence au lieu ou au quartier, mais on cherche surtout à évoquer des qualités réputées vendeuses : La hauteur et la vue : Le Clos du Belvédère, Les terrasses des Arènes, Le Parc de la Vigie. La Provence : Le Clos des Cigales, Les Bastides des Oliviers, Les Provençales. La majesté, provençale ou antique : Les terrasses du Palais, Les jardins du Roy, La villa aurélienne, Le Titien, L’impériale résidence, Le Clos Bacchus, Les jardins de l’Olympe.

Enfin les images utilisées par les publicitaires de l’immobilier sont sans surprises : le bâtiment est présent bien sûr, mais vu de loin, à demi masqué par une végétation très bien entretenue (pelouse toujours tondue). Les dessinateurs, qui ne sont sans doute pas les architectes, prennent quelques libertés avec les perspectives. Mais le dessin est moins risqué que la photo ou le photo-montage. Ainsi, le groupe Marignan annonce qu’il va réaliser une « résidence de qualité » dans le 14ème arrondissement de Marseille, et le prouve en proposant la photo de… Notre Dame de la Garde, située à au moins six kilomètres du futur projet.

E. B.

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