A la vie, à la mort
C’est bien connu, les Gaulois sont de braves petits teigneux qui ne craignent qu’une chose : que le ciel leur tombe sur la tête. Le 30 avril, c’est ce qui est arrivé aux 3 000 personnes qui se sont pressées sur l’esplanade du 1er régiment étranger de la Légion étrangère d’Aubagne (13), siège du commandement, pour assister aux commémorations de Camerone (*). Une pluie diluvienne s’est abattue sur les légionnaires, les anciens combattants, les futurs officiers de l’école de Saint-Cyr. Même le ministre de la Défense, Hervé Morin, n’a pas eu droit à une tente pour le protéger lors de son discours. Ah, mais c’est pas une grosse drache qui ferait bouger le moindre sourcil à nos fiers militaires et encore moins chez les légionnaires ! Efficacité, action, honneur et discipline, tels sont les mots d’ordre de ce corps connu dans le monde entier. « Il n’y a que l’Espagne qui a une légion étrangère, affirme l’adjudant-major Livemont, de l’armée de Belgique, venu spécialement pour la commémoration suite à une intervention coordonnée des deux armées au Zaïre en…1978. En Belgique, nous n’avons pas ce genre de corps, on joue la carte européenne en ouvrant notre recrutement à tous les ressortissants de l’Union Européenne. »
8 000 volontaires par an
Les légionnaires étaient près de 40 000 à la veille de la seconde guerre mondiale. 11 000 mourront pendant la guerre d’Indochine entre 1945 et 1954. Après la guerre de l’indépendance d’Algérie, l’armée décide de la ramener un peu dans les clous. On la réduit, on la restructure, on la nettoie et on la renvoie « aider » à mettre de l’huile dans la Françafrique. Puis ce sera le Moyen-Orient dans les années 80, la guerre du Golfe, les Balkans, l’Afghanistan et de nouveau l’Afrique ces temps-ci. « Partout où les conflits éclatent, le premier régiment qui est envoyé sur le terrain est celui des légionnaires, explique Aurélien Desjonquères, élève de Saint-Cyr, l’école des officiers de l’armée française. Pour nous, ils sont l’élite de l’armée. » Regroupant 8 000 soldats dans 10 régiments (dont 7 en métropole, tous situés dans le sud), la Légion étrangère serait donc progressivement passée du statut de « chair à canon » à celui de corps d’élite grâce à une sélection plus rigoureuse. « Etre âgé de 17 à 40 ans, physiquement apte à servir, posséder une carte d’identité valide, telles sont les conditions de base pour postuler à la Légion, explique le lieutenant-colonel Rascle. Chaque année, nous recevons 8 000 candidatures déposées au Quartier Vienot d’Aubagne qui sert de centre national de sélection. Et après 12 jours de sélection, nous incorporons environ 10 % des postulants. » Une sélection aussi sévère qu’un concours d’entrée à l’ENA à en croire notre lieutenant-colonel. « La légion a changé, assure-t-il. Une enquête menée sur chaque postulant permet d’écarter les cas les plus limites. » On n’en saura pas plus… Tout criminel de sang serait donc aujourd’hui automatiquement refoulé. Mais la Légion n’est pas pour autant un régiment d’enfants de chœur. Il y a 2 ans, un légionnaire de 29 ans originaire de Russie a tué Patrice Pavani, le receveur de la poste de la caserne de Saint-Christol (84) pour lui dérober…7 000 euros.
Des papiers en 3 ans
« Je suis Ukrainien d’origine, explique un légionnaire (**). Quand tu entres dans la Légion, même si t’es marié, t’es considéré comme célibataire. Et puis, on te donne une nouvelle identité avec un nouveau nom. Tu n’existes plus civilement. Tu n’as pas le droit de conduire, de faire un crédit. Tu es légionnaire. On t’habille, on te loge, on te commande, c’est ça qui te définit. Mais, moi, ça me va, ça fait onze ans que je suis ici. Et au bout de deux ans, j’ai pu reprendre mon vrai nom. » L’autre « avantage » de la Légion, c’est la possibilité pour les étrangers d’obtenir une naturalisation ou une carte de résident valable 10 ans après 3 ans de service. Ici, ça va nettement plus vite que chez Hortefeux ! Entrer dans la Légion étrangère, c’est donc un peu plus que s’engager dans l’armée. Et il suffit de voir le nombre d’anciens légionnaires, béret vert sur le crâne, se promener l’après-midi dans la kermesse du quartier Vienot pour se rendre compte qu’il n’est pas non plus très facile d’en sortir. « Je viens de Bretagne en TGV exprès pour Camerone, explique Gérard, 55 ans, croix de la Légion au cou, cheveux en brosse et veste kaki sur les épaules. C’est ma famille, je ne peux pas oublier ce que j’ai vécu avec eux. Beyrouth en 83. Jamais je ne pourrai oublier. » Le statut des légionnaires est vigoureusement mis en cause par l’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil) : elle dénonce un « quasi asservissement » des engagés, un commandement qui relève plus du « dressage » et du « lavage de cerveau » que de la discipline, des « violations répétées des droits élémentaires » des légionnaires… (***)
Le Famas à 7 ans
Dans cette grande famille, on n’oublie évidemment pas les enfants. La kermesse, ouverte l’après-midi est là pour ça. Une quarantaine de tentes militaires sont disposées à côté des hangars de matériel. Pendant qu’Hervé Morin, qui a changé de costume, monte dans l’hélicoptère de la gendarmerie, on propose aux enfants de revêtir le treillis pour un petit parcours du combattant. Dans un autre stand, on peut même essayer le fameux Famas, le fusil d’assaut semi automatique fétiche des képis blancs. Sous le regard attendri des parents et des grands-parents, Elise, 9 ans, et Romain, 7 ans, sont tout fiers de tirer sur de mannequins insurgés, avec derrière eux une pancarte menaçante « Viva la révolucion, hasta la vista baby ». Alors que le soleil est revenu et sèche les costumes de parade des officiers obligés de marcher comme des canards, l’ambiance se détend complètement avec l’ouverture des 7 buvettes (!) tenues par les légionnaires. Il est à peine 14 heures et la bière coule déjà à flots. L’orchestre offre une aubade, les manèges se mettent en marche, on passe à table en se tapant dans le dos, des souvenirs plein la tête et les yeux sur les jeunes filles qui commencent à envahir la kermesse en attendant fébrilement de se présenter à 19 heures pour le concours de « Miss képi blanc » (sic) qui précèdera un bal. Peut-être un couple se formera-t-il là ce soir et reviendra le lendemain pour rencontrer Gisèle, conseillère en organisation de mariages qui attend dans son stand « C’est que du bonheur ». Gérard, lui, sera déjà reparti dans sa Bretagne avec quelques achats : un porte-képi, un tee-shirt Légion étrangère, et surtout un carton de vin produit par l’institution des invalides de la Légion étrangère, installée à Puyloubier. Il a choisi de prendre la cuvée « Esprit de corps », histoire peut-être de ne rien oublier.
Jean Tonnerre