A la communauté urbaine, le compte n’y est pas
L’affaire a commencé par une lettre. Non signée, photocopiée à maintes reprises, elle a beaucoup circulé, laissant derrière elle une traînée de poudre politique à haute teneur explosive. Elle a été écrite par Guy Pène, maire UMP de Sausset-les-Pins et Président de la Commission des finances de la Communauté urbaine de Marseille, MPM (Marseille Provence Métropole). Elle fait suite à une réunion de cette commission où siègent des élus de tous bords. Son contenu est sans équivoque : elle pointe les difficultés financières de MPM et l’impossibilité manifeste de continuer à poursuivre le programme de grands travaux portés par la Communauté urbaine. Elle mentionne notamment la faiblesse des ressources propres de l’établissement, les baisses attendues des recettes de taxe professionnelle et d’impôts en provenance des ménages métropolitains, et les restrictions budgétaires qui devraient suivre la publication de la lettre d’observation de la Chambre régionale des comptes. De la part d’un élu de droite qui votait jusque-là les budgets sans sourciller, la démarche est étonnante.
Aussitôt écrite la lettre a fuité dans la presse avec plus ou moins de bonheur dans sa publicité. Et le landernau politique qui bruissait déjà de rumeurs à propos de ce rapport de la CRC en chantier depuis le début de l’année, a repris un caquetage plus violent encore. Devant cette agitation politique, le maire a bétonné largement. Le rapport dont il gardait copie est resté soigneusement dans un tiroir de son bureau. Et il n’a entrepris de lui donner publicité que dans les délais offerts par la loi. Le rapport a donc été coupé en deux : la partie concernant Marseille a été transmise aux groupes politiques cinq jours francs avant le conseil municipal et le gros morceau – concernant MPM et les autres communes – ne devait être diffusé qu’au moment du conseil municipal, lundi 3 octobre (après le bouclage du Ravi).
Qu’y a-t-il donc de si inquiétant dans ce rapport concernant les finances de MPM ? La Chambre s’est intéressée de près aux transferts de charges, de personnels et de recettes entre les communes et la Communauté urbaine nouvellement créée. En clair, une Communauté urbaine possède des compétences propres, et les personnels nécessaires à leur exercice ; ces personnels sont donc transférés avec leurs salaires à MPM. En contrepartie, les communes transfèrent la totalité de leurs recettes de taxe professionnelle à l’établissement nouvellement créé. Mais, à l’époque de la création de la CUM, en 2000, les communes membres y allaient en traînant les pieds. Il fallait donc les convaincre qu’elles trouveraient un intérêt à intégrer MPM. Les maires eurent donc droit à une vice-présidence chacun, et à un joli cadeau : le droit de conserver la mainmise sur leur Plan d’occupation des sols. Sauf qu’à ces avantages, se sont sans doute ajoutés d’autres avantages plus secrets. Entre autres, les charges et personnels transférés l’ont été sans que quiconque ne soit très regardant sur les volumes transférés, ni sur la méthode employée.
Citation du rapport : « Aucun contrôle véritable des déclarations effectuées par la ville n’a été réalisé par la commission (ndlr : chargée du contrôle des transferts) et aucun élément relatif à la définition du périmètre d’évaluation des charges transférées par la ville ne figure dans son rapport. La communauté urbaine n’était d’ailleurs pas en mesure de produire ces éléments ». Et vlan ! Une politique de l’?il mi-clos qui prévalait tout autant pour Marseille puisque Jean-Claude Gondard, secrétaire général de la mairie, devait faire face à la gronde des syndicats attentifs à ne pas perdre leurs avantages acquis, et ce en pleine négociation des 35 heures. C’est, entre autres, le reproche formulé en termes très technocratiques par la CRC. Les compensations financières reversées par MPM aux communes étaient donc largement surévaluées. « L’attribution de compensation mobilise 78,84 % des produits collectés au titre de la taxe professionnelle. Les communes membres et la ville centre qui reçoit 80,26 % du montant total de l’attribution de compensation semblent ne pas avoir transféré à l’EPCI les moyens nécessaires à l’exercice des compétences réellement transférées ». En gros, on prend tout mais on redistribue… tout ou presque. Ce qui est valable pour les gros sous, l’est autant pour les personnels. Chaque commune a conservé dans ses services un certain nombre de personnels qu’elle était censée transférer. Par exemple les plus âgés partant à la retraite dans les années suivantes, la charge financière afférant à ces postes disparaissant avec eux. Et quand elle transférait, la commune s’arrangeait pour transférer plutôt les bras cassés que les cadors. Donc chacun s’est arrangé pour habiller Paulette (appelons ainsi MPM) sans trop déshabiller Pierre, Jacques et Claude (les communes membres). Ainsi, pour le personnel transféré, la Ville de Marseille a conservé dans ses services (sans qu’ils n’apparaissent dans les organigrammes) 366 agents. Dans le même temps, la CUM devait embaucher à tour de bras pour compenser ces trous dans son organigramme. Pour l’heure, le maire et son équipe jouent aux offusqués et se disent droits dans leurs bottes face aux fonctionnaires pointilleux de la CRC. La suite au prochain épisode… devant un tribunal ?
Gilles Bribot