APHM : seringues et coups de piston
On croyait que cela remettrait de l’ordre dans l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille. Trois rapports de la Cour des comptes puis de l’Inspection générale des affaires sociales (par deux fois) ont dénoncé les liens trop étroits avec la Ville de Marseille, dont les élus n’hésitaient pas à gérer les embauches et les avancements. Une enquête du parquet national financier est toujours en cours pour déterminer si un adjoint au maire (LR) et conseiller régional, Daniel Sperling, y bénéficie d’un emploi fictif.
Mais, quoiqu’elles soient jugées moins fréquentes, les interventions se poursuivent. Ainsi, nous avons découvert l’inhabituel intérêt autour du sort d’un agent de service hospitalier. Son cas a mobilisé les syndicats, le directeur des ressources humaines, la directrice générale de l’APHM et même un sénateur de la République. Il faut dire que l’homme est militant UMP puis LR de longue date et l’adjoint de Bruno Gilles à la mairie des 4ème et 5ème arrondissements de Marseille depuis 2014, chargé de la sécurité et des commerçants. Sous le regard bienveillant du sénateur-maire et vice-président du conseil d’administration de l’APHM, Anselme Dugain est entré à l’APHM en 2008 à la suite de la faillite de son restaurant. Mais sa titularisation traîne. Dans un langage tout administratif, une cadre de haut rang a rendu un avis négatif en estimant qu’il doit « améliorer son présentéisme ». Des soupçons « d’emploi fictif » planent sur le cas. « C’est ce que m’a dit la secrétaire générale quand elle m’a reçu », affirme même l’intéressé.
Alors, Bruno Gilles s’inquiète pour son adjoint. Le 15 novembre, à trois jours de la commission administrative paritaire (CAP), qui statue sur les promotions et les titularisations, il s’enquiert notamment du sort de son protégé auprès de Loïc Mondoloni, le directeur des ressources humaines, en partance pour le CHU de Nice. Comme pour une précédente CAP au printemps, la cadre a émis un avis défavorable à la titularisation d’Anselme Dugain. Sympa, le DRH « fait préparer un correctif […] avec avis favorable ».
Repêchage en eaux troubles
Manque de pot, la CGT s’y oppose. « Il y avait eu deux avis défavorables [et] on savait que c’est quelqu’un qui ne travaillait pas », explique Danielle Ceccaldi, secrétaire générale de la confédération à l’APHM. Plus curieux, selon l’infirmière de formation, la direction ne prend pas part au vote. Malgré le soutien de FO, son syndicat, le dossier Anselme Dugain est donc retiré de l’ordre du jour. Normalement, la carrière à l’APHM de l’adjoint de Bruno Gilles aurait dû s’arrêter là : après deux avis défavorables pour titularisation, les agents doivent en effet faire leurs valises.
Mais pas Anselme Dugain. Profitant d’une règle non écrite et utilisée à quelques occasions, l’ancien commerçant bénéficie d’une troisième chance. Il doit intégrer un nouveau service à la maternité de la Conception, de nuit, où il sera évalué par des cadres sages femmes. Un service où il sera, d’après nos informations, en sureffectif alors même que les hôpitaux marseillais sont constamment en sous-effectifs, comme l’ont encore dénoncé le 15 décembre les syndicats lors d’une action au siège de l’APHM.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’ancien commerçant bénéficie d’un régime de faveur. Lors de son passage en psychiatrie un poste a été, selon nos informations, ouvert de nuit pour répondre à sa demande, alors même que les besoins étaient inexistants. « Il est arrivé pour raisons disciplinaires dans le service sur décision de la hiérarchie pour un poste que l’on a créé exprès », se souvient-on au sein du service. Un beau cadeau puisque la nuit offre une prime de quelques 200 euros par mois…
L’hôpital et ses fantômes
Si Bruno Gilles, comme la direction de l’APHM, se refusent à tout commentaire sur le sujet, Audrey Jolibois, la secrétaire générale de FO, défend elle son militant. Avec une certaine prudence : « Pour moi, le problème c’est que quand on dit que quelqu’un ne travaille pas, son devoir est d’aller voir ce qui se passe réellement et pas se contenter d’écouter des bruits de couloir. » Et la responsable FO d’insister : « Si on m’avait mis sur la table les preuves qu’il ne faisait pas son travail, j’aurais été la première à l’avertir. »
De son côté, Anselme Dugain nie tout en bloc. Rencontré le 19 décembre, l’ancien commerçant dénonce le harcèlement de sa cadre depuis son retour à la maternité publique du centre ville, il y a deux ans. Il est en arrêt maladie depuis le 9 décembre, jusqu’au 13 janvier. « L’absentéisme dont elle m’accuse, ce sont des heures auxquelles j’ai droit pour ma fonction d’élu », affirme l’ASH qui se plaint également d’avoir à les justifier. Et de souligner : « S’il y avait eu des témoignages défavorables contre moi, je pense que j’aurais été convoqué. Mais ça n’est jamais arrivé. » Pour preuves, il sort d’une pochette des évaluations de 2013 et 2014 très favorables et une pétition en sa faveur d’une vingtaine de collègues.
Sa troisième chance est pour lui un cadeau empoisonné. « Ils protègent leur cadre. Ils veulent que je la ferme, que l’histoire ne sorte pas dans la presse », accuse encore le protégé de Bruno Gilles. Qui dénonce : « Je pense que c’est pour le toucher que l’on s’attaque à moi. » Et puis Anselme Dugain en est persuadé : « Si Bruno Gilles avait voulu m’aider, je ne serais pas agent des services hospitaliers ! »
Jean-François Poupelin (le Ravi) et Jean-Marie Leforestier (Marsactu)