Alternatiba, contre-la-montre du climat
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L’intermodalité, quand cela marche, c’est parfait : 3,30 euros et 10 minutes de TER, vélo à bord, jusqu’à Aubagne (13) depuis Marseille. Puis une vingtaine de minutes pour relier Gémenos et l’usine de thés et d’infusions SCOP-TI, l’ancienne Fralib. Face au géant de l’agroalimentaire Unilever et son plan social, une soixantaine de salariés se sont battus 1336 jours pour garder leur outil de travail avant de relancer l’activité sous forme de Scop en 2015. C’est là que, symboliquement, l’étape aubagnaise du tour Alternatiba démarre ce 13 septembre. Après une première édition il y a trois ans, la deuxième édition est partie le 9 juin de Paris pour rallier Bayonne le 9 octobre. 200 étapes et 5800 kilomètres à vélo !
« La plus grosse mobilisation citoyenne pour le climat », comme l’assurent les organisateurs, s’appuie à chaque étape sur des comités locaux, qui organisent un « village » pour sensibiliser la population à l’urgence climatique et mettre en valeur des initiatives locales. Avec un slogan phare : « Changeons le système, pas le climat. » Un peu en avance, Pierre-Julien Crovisier et Mame Fatima Diop attendent le reste de la troupe à l’ombre d’un camion logistique prêté par Emmaüs. À peine trentenaires, ils suivent le tour national en intermittence. En tout, ils sont environ une centaine à se relayer et toujours une douzaine, dont sept minimum à vélo, chevauchant leur emblématique triplette ou quadruplette.
PAS DE PLANETE B !
Cette étape est un peu particulière : son thème est axé sur les solidarités, principalement envers les réfugiés et interroge donc les relations Nord-Sud. Mame Fatima Diop est l’une des référentes Alternatiba au Sénégal. Habillée d’un jean noir et d’un grand voile blanc, elle explique que la thématique du climat a pris beaucoup d’ampleur ces derniers temps dans son pays, surtout auprès des jeunes. Le Sénégal est touché par l’érosion et la montée des eaux : à Saint-Louis, une ville au nord de Dakar, 10 000 personnes sont menacées d’expulsion… Autre phénomène, la sécheresse. « Tout le monde en parle là-bas », assure la jeune femme. Avec comme conséquence, l’exode de pêcheurs et paysans. « Ce qui nous marque le plus reste les migrations internes. Ceux qui nourrissaient le pays sont désormais devenus des mendiants à Dakar ! Il y a une vraie prise de conscience », continue-t-elle. Elle s’investit dans le mouvement Alternatiba pour créer des « synergies, rapprocher des gens, des entreprises, qui partagent les mêmes projets, mais qui ne se parlent pas forcément. On est plus forts ensemble ! »
Pierre-Julien a passé environ un mois sur le tour. Pour lui, le déclic sur l’urgence climatique est assez récent. Mais peut-on réellement changer le système à vélo ? « On n’a pas 50 ans devant nous, il n’y a pas de planète B ! s’insurge-t-il. Il faut passer à l’action ! » Il met en avant l’importance des actions non violentes comme ce récent happening dans 40 agences de la Société générale, pour dénoncer le financement de projets « climaticides ». Vers 17 heures, les militants locaux commencent à arriver, au nom du collectif de transition citoyenne du Pays d’Aubagne qui réunit une somme d’associations du coin. L’un de ses acteurs, Nicolas Montanard, t-shirt vert Alternatiba, est en rollers : « On m’a piqué mon vélo ! » Pour lui, il faut « penser global, agir local, miser sur les circuits courts… pour un monde plus équitable et solidaire. L’inverse de la start-up nation ! »
Un autre organisateur au bouc grisonnant, Gérard Chabert, souligne la difficulté de mobiliser au-delà des habitués. Changeront-ils le système ? « On l’espère », lâche-t-il dans un petit rictus. Mais voilà que les valeureux cyclistes font leur arrivée en criant « on est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat ! ». Tout de vert vêtus, en short, les cuisses marquées de graisse. « On est super oxygéné, on a fait 50 kilomètres depuis Toulon », sourit Manu Sapet, originaire de Valence. Déjà du tour 2015, il est passé cette année par Clermont, Angoulême, Le Mans…
PLUS CHAUDS QUE LE CLIMAT !
Un mini apéro s’organise avant qu’Olivier Leberquier, président de SCOP-TI, ne prenne la parole. Deux retraitées, Sylviane et Colette, papotent. Elles sont membres de l’association de soutien Fraliberté et communistes jusqu’au bout des ongles – depuis 62 pour Colette. Elles ne connaissaient pas vraiment Alternatiba. « C’est important d’être soutenu et ces combats prennent du temps à infuser. J’ai fait mai 68 et je peux vous dire qu’on ne s’attendait pas à tout cela, c’est venu d’un coup ! », témoigne Sylviane. Olivier Leberquier revient sur les « causes communes » aux deux mouvements, rappelle que « beaucoup pensaient qu’on ne tiendrait pas deux mois ». Il souligne la production de tisanes bio au tilleul des Baronnies (environ 10 % de la production), la difficulté d’obtenir des prêts des banques…
Une photo plus tard, c’est l’heure de la « Vélorution ». Une quarantaine de personnes enfourchent leur vélo, soleil rasant, direction l’Espace des Solidarités, où se tient le village. L’un d’eux est en complet cycliste, carrément. Damien, qui se surnomme « MC climat », fait cracher la sono alimentée par son vélo électrique. Il scande des slogans repris par tous comme « Préparez vos guiboles, c’est la fin du pétrole », le tout entrecoupé de musique, notre préférée revenant à Bicycle race de Queen.
Le but est de faire du bruit, faire nombre, se réapproprier la route dans une ambiance bon enfant et, ce qui reste peut-être finalement la plus grande utilité du tour, d’interpeller le tout venant. Qui le plus souvent est interloqué mais souriant : « Allez voir sur Internet, Alternatiba ! » Une grosse demi-heure plus tard, le cortège fait son entrée dans l’Espace des Solidarités, un peu à l’écart du centre-ville et loin du passage des badauds… Selon les locaux, la ville (de droite) aurait refusé de leur accorder un lieu public. Il y a là plus de 100 personnes mais uniquement ou presque des convertis à la cause. La plus grosse attraction reste l’imposant buffet et les rafraîchissements préparés par les bénévoles.
Dans le village, essentiellement des associations d’aide aux réfugiés : SOS Méditerranée, la Cimade, Montgolfière… « Nous défendons une approche globale, explique Jacques de la Cimade Marseille. Chez Alternatiba, on ne fait pas d’écologie sans les gens. On se sent donc naturellement partie prenante. » Pour Caroline Gaset, bénévole pour SOS Méditerranée, le dénominateur commun « c’est l’engagement. Le citoyen se charge de pallier les défaillances publiques ». Avec quels effets concrets ? « S’engager ne demande pas de résultat, en soi c’est déjà un résultat, une transmission de valeurs. On aura essayé au moins ! »
A 21 heures, il est temps de faire le chemin inverse, de se remettre à l’intermodalité. À la gare, la guichetière, accent pagnolesque : « Mais vous êtes pas au courant ? Tout a sauté là hein ! » Le train est annulé. Aubagne-Marseille, ce n’est qu’à environ une heure de vélo… Un bien beau trajet où on peut se faire doubler par un train lestant des dizaines de bagnoles flambant neuves ou croiser un bus, n°40, direction… la Solitude.
Clément Chassot
Bonus
Il est tout beau, tout chaud. Le DVD de ce documentaire réalisé par nos comparses de Fokus 21, Sandra Blondel et Pascal Hennequin, vient de paraître. Sorti au cinéma en novembre 2017, Irrintzina est classé 11ème meilleur documentaire des années 2010 sur le site spécialisé Allo Ciné. La classe. Le Ravi, partenaire de cette plongée en immersion dans un grand mouvement non violent pour le climat, vous a déjà causé de son contenu (Cf n°145). La nouveauté réside dans ses bonus, accessibles après un jeu de piste sur la plateforme Vimeo grâce à un mot de passe délivré dans le DVD. On y retrouve de courtes vidéos qui ont servi à alimenter un financement participatif mais surtout une version longue inédite de 54 minutes consacrée à l’action non-violente menée en avril 2016 lors d’un sommet de grands pétroliers à Pau. Peut-être le morceau le plus fascinant du film, qui dans sa version originale, dure 26 minutes. Un cri de la génération climat, à voir chez vous désormais.
Irrintzina, le cri de la génération climat.1h40. Fokus 21, Sandra Blondel et Pascal Hennequin.
C. C.
Reportage publié dans le Ravi n°166, octobre 2018