Algériens : de la difficile reconnaissance…
Autour de 300 000 Algériens vivent à Marseille. Mais s’ils représentent la plus importante « communauté étrangère » de France, ils restent toutefois, comme en Paca, difficilement quantifiables. Car ils ne représentent pas une population homogène. Un décompte compliqué en France mais aussi en Algérie. « Ils sont à peu près 5 millions en France, mais avec la binationalité, ceux qui sont enregistrés dans les consulats sont aussi des Français, souligne Kamel Chachoua, chercheur au CNRS, sociologue et anthropologue spécialiste de la migration algérienne. Il faut aussi prendre en compte ceux qui vivent sur le territoire avec des cartes de séjours, des visa étudiants (Cf p.10) et surtout ceux qui sont sans papier, et qui représentent une part importante. »
Les vagues de migrants ne se côtoient que très peu, ceux du début XXème devenus commerçants du centre-ville ne se mélangent pas aux ouvriers des cités arrivés en 1950, même s’ils viennent tous essentiellement de Kabylie et des Aurès : « pas d’avantage dans les associations que dans les lieux de prière lorsqu’ils existeront et encore moins dans les sociabilités quotidiennes ou les stratégies matrimoniales »souligne Michel Peraldi dans Sociologie de Marseille. De même qu’aujourd’hui les étudiants ne fréquentent pas les vendeurs de cigarettes à la sauvette de Noailles.
Faire communauté ?
Et puis il y a les invisibles… « Les chibani sont un décor beaucoup plus qu’une population en mouvement. Ce n’est pas eux qui font l’activité sociale, et encore moins la vie politique », explique Kamel Chachoua. Soumis à une obligation de résidence en France pour pouvoir toucher leur maigre retraite, ils se retrouvent bien souvent isolés et dans la précarité. « Ils n’ont pas l’habitude d’aller solliciter les services sociaux. Quand leurs droits sont suspendus, ils se retrouvent à la rue, explique Sabah Bekeira de l’Ampil (Action méditerranéenne pour l’insertion par le logement). Les organismes qui gèrent leur retraite n’ont pas la notion de leur vécu et les confondent avec des sans papiers. » Certains sont usés et finissent par rentrer au pays. Ce choix est vécu comme un échec.
« La communauté algérienne de Paca est en fait composée de binationaux, c’est ceux qui produisent de l’action ou de la réaction publique, ceux qui peuvent manifester de façon visible », explique Kamel Chachoua. Nacim (2) est administrateur d’un centre social en Paca. « Avant les municipales, les Comoriens viennent voir les candidats avec leurs doléances et s’ils n’ont pas l’assurance d’obtenir ce qu’ils veulent, ils s’adressent à un autre candidat, explique-t-il. Nous, les Algériens, on n’est pas organisé, et ça nous dessert. »
Difficile de faire communauté et d’avoir une force d’action avec une population si disparate. « On a beaucoup de talents et de compétences mais c’est anarchique, explique Chérif Lounef, universitaire et associatif aixois, fils d’un ancien combattant de l’armée d’Afrique. On n’a pas réussi à faire émerger une élite qui puisse mettre en place une représentativité avec une vision du vivre ensemble. Comme l’ont fait les Italiens ou les Espagnols qui se sont stabilisés. Et puis, surtout, l’immigration algérienne n’est pas terminée et ça plombe une organisation. »
Un électorat insaisissable
Pour l’anthropologue et chercheur au CNRS Michel Peraldi, auteur de Gouverner Marseille, le vote communautaire phocéen est un fantasme. « Les « communautés » votent comme les autres, plutôt en fonction de considérations sociales qu’ethniques. » Dans la mesure où les Algériens sur Marseille sont cantonnés aux logements sociaux (54 %) des quartiers Nord (62,8 % en 2005) et n’ont, pour la majorité, pas dépassé le stade de la classe moyenne, leur vote ressemble à ceux de tous les autres : « En gros il y a une dominante de gauche et quelques votes FN », poursuit Peraldi.
Seule une poignée de figures politiques locales d’origine algérienne a émergé à Marseille. Comme Samia Ghali, sénatrice PS, ancienne maire d’arrondissement du 15-16, Karim Zeribi, ancien député européen EELV, mis en examen pour détournement de fonds d’associations, ou encore Nora Remadnia Préziosi, adjointe au maire de Marseille LR et conseillère régionale. « Ils sont issus de la vieille machine politique. Où il faut faire allégeance à un baron et ne pas se tromper de baron, poursuit Peraldi. Samia Ghali a mis 20 ans pour se faire. » Mais draine-t-elle pour autant un électorat algérien ? « C’est moins le fait d’être algérien que d’être dans les cités. Si les Algériens sortaient massivement du parc social, Samia Ghali continuerait de s’appuyer sur les quartiers car c’est son réseau », poursuit l’anthropologue. Ce sont pour la plupart d’anciens guérinistes [l’ancien président PS du conseil général du « 13 » multi-mis en examen, Ndlr], la visée lors de leur promotion était clientéliste. « On est venu nous chercher pour composer les quotas de femmes, engagées, issues de l’immigration et des quartiers populaires sur une liste, explique, amère, Haouaria Hadj-Chick, conseillère départementale. Mais si pour moi, communiste, la politique est un outil indispensable de transformation, lorsqu’on est apprécié pour ces critères là, Samia, Nora, Fatima (Orsatelli) ou moi devenons alors interchangeables. Ce n’est pas ma façon de combattre que l’on vient chercher. »
Si le vote algérien est difficilement appréhendable, celui des « nostalgériques » est à chaque élection source de toutes les attentions. Même plus de cinquante ans après l’indépendance algérienne, les pieds-noirs représentent à ce jour 14 % de l’électorat de Paca. Ça peut paraître peu mais quand la droite et le FN sont au coude à coude, leur vote s’avère utile. Certains politiques en ont fait leur fond de commerce. Comme à Aix-en-Provence, où ils représentent 30 % de la population, Maryse Joissains, le maire LR dont le père était partisan de l’Algérie française, les chouchoute en inaugurant notamment en 2013 une stèle « aux martyrs » qui ont défendu l’armée française. Mais le vote des « nostalgériques » n’est pas représentatif, là aussi, de celui du reste de la communauté (lire encadré ci-contre) puisque des études montrent que la nouvelle génération de Pieds-Noirs vote comme l’ensemble des électeurs.
Les harkis en Paca représentent de leur côté 160 000 personnes. Christian Estrosi, éphémère président LR de la région, a essayé aussi de draguer ses enfants mais en s’y prenant mal. En 2016, il a fait voter au Conseil régional des emplois réservés dans la fonction pour les descendants de harkis. « Il y a eu six postes à pourvoir en Paca mais aucun dans les Alpes-Maritimes », explique Ali Amrane, président de l’association des harkis des Alpes-Maritimes. Estrosi remet ça à la métropole de Nice, mais sans offrir de postes vacants à ce jour. Il s’agit en fait de contrats précaires et peu qualifiés, « alors que les enfants de harkis ont les compétences pour faire autre chose », s’insurge Ali Amrane qui dénonce un simple effet d’annonce. « Ça crée surtout un amalgame entre la communauté harki et le reste des citoyens. » Ali Amrane, est également élu de la majorité DVD à Grasse. Et de déplorer : « même s’il y a des harkis dans les conseils municipaux de tous bords, on nous cantonne au local en nous excluant des listes départementales ou législatives… »