Aimez qu’on vous conseille, non qu’on vous loue…
À Tours, lors des dernières Assises du journalisme, c’était le sujet du moment : la création d’un conseil de presse. L’outil pour faire face à la méfiance – voire la défiance – envers les médias. Ce fut en tout cas l’une des annonces du ministre de la Culture, dans la foulée d’un rapport d’Emmanuel Hogg, ancien patron de l’Ina et de l’AFP. D’aucuns, chagrins, ont rappelé, quand l’agence s’est plantée en annonçant par erreur la mort de Martin Bouygues, qu’il s’était illustré en déclarant : « Ne soyez pas prisonniers de vos sources. »
Et que dire de Patrick Eveno, le patron de l’Observatoire de l’information et de la déontologie (ODI), fervent partisan lui aussi d’un « conseil de presse », qui avait attiré notre attention (cf le Ravi n°137) en annonçant sur les antennes de France Info que le Ravi était… mort ? Mais les choses semblent s’accélérer puisque le 16 mai, s’est tenue une réunion pour la mise en place, d’après Thierry Borde, trésorier (au nom du Syndicat national des radios libres) de l’ODI (1), d’ici « cet automne » d’un organisme aux contours encore flous. Car, d’ici là, trois groupes de travail vont devoir besogner d’arrache-pied pour définir, pêle-mêle, son nom, son champ d’intervention, son financement et ses modes d’intervention…
Mais, ce conseil de presse, ou « conseil de médiation et de déontologie journalistique », ce sera quoi ? En substance, une instance qui, réunissant journalistes, éditeurs et public, aura pour mission de se prononcer sur les questions de déontologie soulevées par le traitement médiatique. Un organisme qui se veut plus de médiation que de sanction et qui n’aura, précise l’ODI, aucun droit de regard sur les lignes éditoriales.
Comme le rappelle Thierry Borde, « ça existe dans bon nombre de pays européens et cela fait 10 ans qu’on y réfléchit ». Reste qu’un calendrier aussi rapide peut interroger. Réponse du trésorier de l’ODI : « Cet automne, le gouvernement veut présenter une réforme de l’audiovisuel. Or, pour ce champ, il y aura forcément articulation entre le conseil de presse et le CSA. On veut donc profiter d’un moment où l’on pourra avoir l’oreille attentive des pouvoirs publics. »
Reste qu’il n’y a pas tout le monde autour de la table. Comme certains éditeurs de presse, le SNJ-CGT a refusé de participer à la dernière réunion et s’est fendu d’un texte sans équivoque : « Pour reconquérir la confiance du public, les journalistes n’ont pas besoin d’un conseil de presse. Ils ont besoin de conditions de travail correctes, de pouvoir vivre dignement de leur métier et de ne pas dépendre du bon vouloir d’actionnaires en tout genre. »
Le secrétaire général du syndicat, Emmanuel Vire, enfonce le clou : « Même si ce n’est pas dans notre habitude de pratiquer la politique de la chaise vide, on ne se voit pas siéger aux côtés d’éditeurs qui sont les premiers responsables de la situation des journalistes, de cette précarité qui explique pourquoi il y a aujourd’hui une telle défiance. » Et d’asséner : « En quoi cette instance va changer la situation des journalistes ? Au mieux, elle sera inefficace. Mais, aujourd’hui, dans le contexte actuel de pression de la part du pouvoir à l’égard des journalistes, elle peut même être carrément dangereuse. »
Des critiques que Thierry Borde entend mais il veut voir ce conseil comme « une protection supplémentaire pour les journalistes puisqu’il sera chargé de rappeler les règles déontologiques ». Comment la future instance aurait-elle apprécié la publication dans la quasi-totalité de la presse régionale de la même interview du président de la République, entretien relu qui plus est par les services de l’Élysée ? Réponse : « Il est probablement parfois difficile de trancher entre déontologie et choix éditoriaux. Chaque média est libre de ses choix et de sa ligne éditoriale… »
1. Thierry Borde est également administrateur bénévole de la Tchatche, qui édite le Ravi. Ce qui n’engage en rien l’association et son journal vis-à-vis du futur « conseil de presse »